Banderas, voilà un type qu'on n'aurait pas forcément imaginé en star du cinéma d'action à ses débuts chez Almodovar dans les années 80. Et puis il y a 20 ans il a fait Desperado et Hollywood s'est ensuite efforcé de l'imposer comme nouvelle tête d'affiche du genre, avec plus ou moins de succès. Souvent moins, d'ailleurs, puisqu'en dehors des deux Zorro, il a rarement affolé le box office. Du coup, le pauvre Antonio s'est plusieurs fois planté de façon spectaculaire, notamment avec le fameux Ballistic, mais aussi avec Le 13ème guerrier, que je me permets donc d'accueillir ici bien que ce soit un "gros" film. Tellement gros que c'est le film qui a le plus perdu d'argent de toute l'histoire du cinéma si on tient compte de l'inflation. Eh ouais, même plus que Waterworld. Entre les décors, les armes et armures, les chevaux, les figurants, le budget de départ devait déjà être assez conséquent, et il a dû exploser quand John McTiernan, le réalisateur, s'est fâché avec Michael Crichton, l'auteur du roman original (Le Royaume de Rothgar), et que chacun s'est mis à tourner séparément sa version. Et au moment de le sortir en salles, le studio n'y croyait plus et a accepté le bide sans broncher au lieu d'engloutir encore plus de fric dans sa promotion.
Adapté, donc, d'un roman du papa de Jurassic Park, lui-même inspiré de l'épopée Beowulf et des récits d'un voyageur arabe ayant rencontré et décrit des peuplades nordiques, le film suit le périple d'Ahmed Ibn Fahdlan, ancien poète à la cour du calife exilé en Scandinavie pour avoir séduit la femme d'un gros bonnet de Bagdad. Sa route croise celle d'une horde de Vikings dont le chef Buliwyf reçoit un message de détresse du roi Hrothgar, qui l'implore de le débarrasser des Wendols, des monstres mangeurs d'hommes qui ravagent ses terres. L'oracle annonce à Buliwyf que la mission nécessite treize guerriers, dont un étranger à la peau sombre, parce que même à l'époque des prophéties il y avait des quotas ethniques, et Ahmed se laisse enrôler à contrecoeur dans le rôle du fameux copain rebeu qui sert de caution morale aux blagues racistes quand l'ami noir est occupé. Parvenu au village de Hrothgar, Buliwyf s'aperçoit qu'il ne reste plus assez d'hommes pour affronter l'ennemi aux côtés de son petit groupe, mais l'espoir renaît quand Ahmed comprend que les Wendols ne sont pas des démons, mais simplement des hommes couverts de peaux de bêtes.
Les batailles ne sont pas forcément parmi les plus spectaculaires qu'on ait pu voir au cinéma,
mais au moins on comprend à peu près ce qui s'y passe et à quels moments
un camp prend l'avantage sur l'autre.
Même si je me doutais que je n'allais pas avoir affaire à un chef-d'oeuvre injustement boudé, j'avoue que j'espérais un peu mieux de John McTiernan. Mais c'est difficile d'obtenir quelque chose de réussi en scotchant ensemble deux films réalisés par des mecs qui se font la gueule. Le résultat est regardable, quelques bonnes idées ayant survécu au milieu de cet assemblage de scènes, mais entre les éléments sous-developpés, ceux qui se contredisent, et ceux qui sont abandonnés sans explication, . Dans les meilleurs moments, il y a le genre de choses qu'on apprécie dans les films de bonhomme : un respect mutuel et une franche camaraderie qui se nouent entre des gars bourrus mais qui ont bon fond, de vaillants gaillards prêts à prendre les armes pour l'honneur et la gloire même s'ils n'ont aucune chance, des batailles bien violentes et mises en scène à peu près correctement. Et dans le genre "essayons d'imaginer les faits réels derrière la légende", le film s'en tire de façon un peu plus intéressante que son concurrent direct et que des superproductions comme Le Roi Arthur ou le Robin des bois de Ridley Scott.
Ah, ça, on sent que c'est un film américain d'avant septembre 2001.
Mais il y a, malheureusement, plein de choses qui ne fonctionnent pas trop, à commencer par le héros lui-même, dont on finit par se demander ce qu'il apporte à l'histoire de Beowulf. Certes, on appréciera qu'il ne tombe pas dans le cliché du couard incapable qui apprend à devenir un homme, un vrai, et qu'il s'agisse probablement du dernier Arabe musulman montré sous un jour 100% positif dans une production hollywoodienne. Mais ce qui fait sa spécificité au sein du groupe de barbares se retrouve vite dilué. Ce n'est pas un homme d'action... mais il ne rate pas une occasion de se montrer héroïque, et se révèle très habile au cimeterre sans qu'on nous explique pourquoi un poète est aussi doué pour la bagarre. C'est le malin de la bande... mais . Du coup, ce 13ème larron n'est vraiment qu'un guerrier de plus, qui ne sert
. Sacrifiée également, une intrigue secondaire sur un complot du fils de Hrothgar, qui se développe sur quelques scènes au milieu du film avant d'être balayée sous le tapis sans cérémonie. En revanche, des passages gentiment couillons ont été conservés, comme quand Ahmed apprend à parler couramment la langue des Vikings rien qu'en les écoutant discuter entre eux, ou quand Buliwyf est fasciné par l'art de "dessiner les mots", comme si le concept d'écriture était quelque chose d'inconnu et magique pour les civilisations nordiques.
Les rares personnages féminins ne font guère plus que de la figuration intelligente
et la petite amourette d'Ahmed avec une jolie suédoise ne durera que quelques minutes.
Au final, ça ne vole pas très haut, c'est un peu avare en rebondissements, ça manque de scènes d'action vraiment spectaculaires et d'un protagoniste mémorable. Mais ça a son petit charme quand même, pour un amateur d'aventures médiévales ça n'est pas désagréable à regarder et ça vaut nettement mieux que les films de Vikings bas-de-gamme sortis directement en DVD ces dernières années. Omar Sharif, qui a un petit rôle au début, affirme qu'il a eu tellement honte du film qu'il a failli prendre sa retraite plutôt que continuer à cachetonner dans des merdes ; venant d'un type qui a tourné des pubs pour une revue de pronostics de tiercé, ça me fait doucement goleri qu'il juge Le 13ème guerrier indigne de lui. Mais c'est sûr que c'est pas super réussi. Il faut aimer les histoires basiques de brutes qui coupent des têtes et ne pas espérer quelque chose de la trempe de Predator et Piège de cristal pour ne pas être déçu, mais à défaut d'être digne de ce qu'on pouvait espérer de John McTiernan, c'est meilleur que ce qu'on pouvait craindre de l'échec le plus coûteux de l'histoire du cinéma.
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Le 13ème guerrier (The 13th Warrior, 1999), réalisé par John McTiernan (Piège de cristal) et Michael Crichton (Runaway, l'évadé du futur) sur un scénario de William Wisher (Terminator 2) et Warren Lewis (Black Rain). Avec Antonio Banderas (Desperado), Vladimir Kulich (Equalizer), Dennis Storhøi (D'une vie à l'autre), Tony Curran (Shuttle), Sven Wollter (Carambole).