La carrière de Nicolas Cage n'en est pas encore tout à fait au même point que celle de Steven Seagal, mais elle s'en rapproche, avec ses 5 ou 6 films par an, dont au moins la moitié sort directement en DVD, sous jaquette où sa tronche a été incrustée plus ou moins malhabilement sur la photo d'une doublure, et dans lesquels on voit bien qu'il n'est venu là que pour un chèque parce que les temps sont durs, pas parce que le rôle l'intéressait. Contrairement à Seagal, lui de temps en temps il tourne encore dans un vrai film, mais vu qu'il y a aussi les noms de Danny Glover et Peter Stormare à l'affiche de Tokarev, je ne vous surprendrai sans doute pas si je vous dis qu'on est ici clairement dans la catégorie "ma dette au fisc va pas se rembourser toute seule".
Probablement écrit par un ado qui a vu trois polars dans sa vie et qui s'est dit que ce serait trop cool de faire lui aussi un film avec des gangsters tatoués et des guns, voire par un générateur automatique de scénars pour direct-to-video bas-de-gamme, Tokarev est l'histoire de Paulie Maguire, un ancien membre de la mafia irlandaise (en langage cinématographique ça veut dire que c'est pas un enfant de choeur mais que c'est un mec honorable poussé au crime par nécessité) qui, après un gros coup contre la mafia russe (en langage cinématographique ça veut dire que c'est une bande de pourritures tellement dégueulasses que rien de ce que le héros leur infligera n'entachera sa droiture morale), s'est rangé des voitures et a monté une affaire honnête qui a fait de lui un des notables de sa ville. Tout bascule une nuit où sa fille disparaît alors qu'il est à un dîner d'affaires. On pense alors être face à la version Nicolas Cage de Taken, ce qui n'est pas une perspective désagréable, mais quelques scènes plus tard la gamine est retrouvée avec une balle dans la tête et notre héros décide d'enquêter lui-même pour découvrir qui a fait ça et le buter. Et ça devient donc un film de fausses pistes et coups de théâtre et discours sur la futilité de la vengeance, ce qui peut paraître plus subtil et intéressant, mais qui est surtout plus facile à foirer.
Pauvre Rachel Nichols, déjà réduite à jouer l'épouse effacée et docile
d'un héros qui pourrait être son père plutôt qu'un vrai rôle principal.
L'inspecteur joué par Danny Glover soupçonne, comme la jaquette du film, que c'est le passé criminel de Paulie qui le rattrape, et tente mollement de lui soutirer des noms de coupables potentiels et de le convaincre de renoncer à se faire justice lui-même. L'unique indice de ce fin limier est que l'arme utilisée est un pistolet Tokarev, le flingue préféré de la mafia russe. Paulie ayant eu vent de l'information lui aussi, il décide avec deux de ses potes, anciens malfrats comme lui, de passer le reste du film à tabasser et flinguer tous les Ivan, Andrei, Serguei et Sasha du coin pour s'auto-persuader que c'est bien leur chef qui est derrière tout ça. L'intrigue ne progressant pas du tout au fil des bagarres et poursuites dans les décors habituels de ce genre de film (boîte de strip-tease, planque de dealers, immeuble désaffecté...) on comprend que les scénaristes cherchent à nous cacher le vrai coupable sans savoir comment à part en le faisant disparaître du film jusqu'au dernier acte, où ce qui se veut être un retournement de situation malin ne surprend pas tant que ça puisque tous les autres suspects sont morts, et amène surtout à se rendre compte que l'inspecteur n'a pas dû vraiment beaucoup enquêter pour être à ce point passé à côté de la vérité.
Félicitation au cascadeur qui évite soigneusement la vedette
mais poignarde les roustons de son collègue.
Remarquez que c'est assez cohérent avec une vision de son boulot qui ressort, involontairement je suppose, d'un discours qu'il tient au héros : à quoi bon arrêter les coupables puisque ça ne ramène pas les victimes ? Bon, je me doute bien que le vrai but de la scène à laquelle je fais référence, c'est de dire "la vengeance ça sert à rien", mais la façon dont il illustre son propos, c'est en expliquant qu'il a laissé filer un mec coupable de délit de fuite sous prétexte qu'à ma base l'accident n'était pas de sa faute, et qu'il n'allait quand même pas le buter pour ça... D'accord mais alors peut-être l'arrêter pour homicide involontaire et délit de fuite pour qu'il soit jugé parce que tu es policier ? Non ? Okay. Bon, ça vous donne une idée de la qualité d'écriture du film, dont les auteurs se pensaient sans doute trop intelligents pour avoir besoin d'une relecture. L'histoire prend une demi-heure à se mettre en place puis tourne en rond jusqu'à la révélation-choc à 10 minutes du générique. Le scénario idiot, la banalité des situations et la platitude des dialogues n'ont clairement pas beaucoup motivé les acteurs, qui se traînent sans conviction d'une scène à l'autre.
Cage se force à une scène de "mega-acting" parce qu'il n'est jamais aussi je-m'en-foutiste que Seagal,
mais on sent bien pendant tout le film que le coeur n'y est pas.
Quelques échauffourées maladroitement mises en scène tentent de donner l'illusion que c'est un thriller musclé où il se passe des trucs, mais servent surtout à rappeler qu'on est décidément face à un mauvais polar con et vaguement prétentieux, au budget à peine moins limité que l'imagination et le talent de ses auteurs. C'est court mais passablement ennuyeux, même pour quelqu'un qui aime bien Nicolas Cage et qui n'a pas des attentes démesurées de ce genre de production.
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Tokarev (Rage, 2014), réalisé par Paco Cabezas (Les Disparus) sur un scénario de James Agnew (Game of Death) et Sean Keller (Mammouth). Avec Nicolas Cage (Volte face), Max Ryan (La Ligue des Gentlemen Extraordinaires), Michael McGrady (Ray Donovan), Rachel Nichols (Conan), Danny Glover (L'Arme fatale), Peter Stormare (Fargo).