8 novembre 2009
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Comme tous les jeunes qui ont voulu avoir l'air de grands cinéphiles cool et branchés au milieu des années 90, Tarantino j'y ai cru très fort. Reservoir Dogs, Pulp Fiction, vraiment ça m'a éclaté. Je les reverrais aujourd'hui, je ne les classerais sans doute plus dans les meilleurs films de l'univers, mais je veux bien croire que ça reste de très chouettes films, et ce qui est sûr c'est qu'à l'époque j'étais un gros gros fan. Par contre j'avoue que moi j'ai commencé à douter dès Jackie Brown. Et quand j'ai vu Kill Bill, là vraiment j'ai décroché. A un moment donné quand on est cinéaste je crois que c'est bien d'essayer d'aller de l'avant et de créer des choses nouvelles plutôt que de se cantonner à rendre hommage aux trucs obscurs qu'on aime, en faisant quelque chose de plus cher, plus prétentieux et largement moins bien. N'importe quel vrai bon film de kung fu signé par un honnête Chinois, moins friqué et moins occupé à se regarder filmer et à montrer au monde à quel point il est un virtuose de la cinématographie et une encyclopédie vivante du cinéma de genre, vous explosera les deux Kill Bill en beauté.
Bref. Dans la mesure où Boulevard de la Mort était un nouvel hommage de Tarantino à lui-même par l'entremise de ses goûts en matière de vieux films, tellement importants et intéressants, j'ai renoncé à aller le voir au cinéma. Mais comme il est disponible en DVD autour de 7 € et qu'une copine m'en avait dit le plus grand bien, j'ai fini par me laisser tenter. Pour l'anecdote, elle semblait trouver particulièrement intéressant le fétichisme pour les pieds affiché par le film. Ca m'a un peu rendu curieux, je dois dire. Je me suis dit qu'il y avait un petit espoir pour que ce soit bien quand même. Que ce soit une espèce de Faster, Pussycat! Kill! Kill! moderne, avec les pieds à la place des gros nichons. Entendons-nous bien, les remakes c'est mal, et remplacer les gros nichons par des pieds est une mauvaise idée, mais en théorie, disons que le genre "Action, violence, bagnoles et belles pépées" garde un certain attrait. Enfin tout ça pour vous dire que malgré mes premiers a priori négatifs sur le film, juste avant le visionnage j'étais à nouveau dans de bonnes dispositions à son égard, et pas dans l'état d'esprit du mec qui s'apprête déjà à détester.

parce que ça va être beaucoup de ça, quand même.
Ca commence sur des filles qui discutent. Elles discutent dans une voiture, longtemps. Puis elles discutent dans un restaurant, longtemps. Puis elles vont dans un bar et elles discutent encore, longtemps. Elles discutent aussi à l'extérieur du bar après, à côté du parking. Il faut dire que les dialogues, c'est ce qui a bien fait vendre Tarantino depuis Reservoir Dogs. Madonna et les grosses bites, le Royal Cheese, tout ça, souvenez-vous. Y a quand même un problème ici, c'est que le bavardage de ces demoiselles a tout le charme de Sex and the City, c'est dire si c'est passionnant. Ouh t'as pas baisé avec ton nouveau mec ? Tiens je parie que t'es pas cap de faire une lapdance à un inconnu trop craquant s'il vient réciter un poème. Les mecs ils bandent trop pour mon gros cul de Noire, ha ha ha ! Ce genre de papotage très intéressant quoi. Récité par des actrices pour la plupart largement trentenaires mais qui semblent jouer des personnages de 16 ans, parce que Papa il prête sa cabane au bord du lac mais attention, pas de garçons, et Machin je l'ai laissé me peloter mais on n'est pas allés plus loin ! Bon bien sûr il y a aussi régulièrement des plans sur des objets genre un juke box ou un disque, parce que ça fait stylé, voyez. Des fois il y a aussi un plan d'environ 2 ans et demi sur le portable d'un personnage qui tape un SMS et comme on ne voit pas trop clairement le logo Nokia on peut penser que c'est pas pour faire une pub (ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de "placement de produit" dans le film, par contre) et du coup c'est sans doute censé développer le personnage, pour qu'on comprenne que sous ses grands airs c'est une fille sentimentale et tout. C'est une bonne idée de développer les personnages. Enfin sauf peut-être quand ils meurent 10 minutes plus tard comme c'est le cas ici, mais qu'est-ce que j'y connais en cinéma après tout, moi qui ne suis même pas capable de citer constamment des références à de vieux films méconnus.

en travelo, on voit pas ça tous les jours.
Au bout de 40 minutes de film il n'y a toujours pas le début d'une intrigue et on n'a rien vu d'autre qu'une série de conversations. Heureusement, de temps en temps il y a eu un peu de Kurt Russell en marge du blabla des autres. Kurt Russell a de la classe, une vraie présence à l'écran malgré le trop peu de temps qui lui est accordé, il incarne avec talent un vrai personnage de cinéma, ce qui forcément change agréablement des bavasseuses de sitcom qui monopolisent la pellicule. Et prouve au passage que décidément Boulevard de la Mort n'est pas le Faster, Pussycat! Kill! Kill! des années 2000, puisqu'ici le meilleur personnage est masculin et qu'aucune des nanas ne peut prétendre au titre ne serait-ce que de misérable ersatz de Tura Satana. Avec ses faux airs d'Eddy Mitchell balafré et au volant d'une bagnole indestructible, Kurt Russell joue le méchant de l'histoire, et peut se vanter d'être dans toutes les rares scènes du film qui ne donnent pas envie d'en regarder un autre à la place.

se décident enfin à réveiller un peu Boulevard de la Mort.
C'est triste à dire mais quand il massacre le groupe de filles qu'on a dû écouter jacter depuis le début, on a presque envie de l'applaudir et de lui dire merci. C'est honteux à avouer, et pas sympa de ma part de dévoiler l'histoire comme ça à ceux qui n'ont pas encore vu le film, mais c'est vraiment un moment de satisfaction et de soulagement : enfin, nous voilà débarrassés. Manque de pot la joie est de courte durée puisqu'après 5 minutes d'adrénaline et de violence survenues après trois quarts d'heure d'inaction, on en revient pour ainsi dire au début du film, mais avec un nouveau groupe de filles. Elles discutent dans une voiture, puis autour d'une table, puis dans une voiture, puis à propos d'une voiture. Longtemps, bien sûr, et toujours dans le genre Sex and the City. Il y a aussi des clins d'oeil de Tarantino à lui-même, parce que c'est un garçon qui a l'air de bien s'aimer et de se trouver vraiment intéressant et talentueux, et parce qu'il sait que c'est le genre de truc qui conforte la critique et les fans dans l'idée qu'un réalisateur est un vrai grand cinéaste intéressant avec son propre univers bien à lui, et tout et tout. Alors il y a du Big Kahuna par-ci, du massage de pieds par-là. Ca ne donne pas plus de charme à ces échanges interminables, mais y en aura toujours pour s'émerveiller que c'est de la super référence à Pulp Fiction.

où il se passe quelque chose peuvent se rendormir en attendant le quart d'heure final.
Kurt Russell refait surface alors qu'on avait fini par ne plus oser l'espérer, et le film se conclut sur 15 minutes de poursuite en voitures pour récompenser le public de sa patience. Honnêtement, ça n'est même pas vraiment mémorable. Pas mal quand même, notamment parce que la cascadeuse Zoe Bell donne de sa personne pour rendre la chose un peu plus spectaculaire que la moyenne, mais pas de quoi excuser tout le reste hélas. Et en plus le retournement de situation intervient trop vite, histoire de se précipiter joyeusement vers un dénouement "woohoo, Girl Power, youpi !" qui semble là pour permettre aux gros puceaux désespérés, ne sachant plus quoi inventer pour baratiner les femmes et tirer leur coup, de dire en sortant du film que "c'est génial parce que c'est hyper féministe comme film, j'ai adoré".

il convient de le souligner.
C'est pas que j'espérais avoir affaire à un authentique film d'action et je comprends bien que pour rester un méchant efficace, le cascadeur psychopathe doit être utilisé à petites doses, mais là, tout semble entièrement basé sur l'idée que les dialogues sont tellement brillants et les actrices tellement géniales que tout ça sera passionnant même si 80% du film n'a ni intrigue ni véritables personnages. Malheureusement, les interminables commérages des victimes et des héroïnes ne sont jamais drôles, enlevés, charmants, pétillants... C'est très lourd, et soporifique à souhait. Et au final le plus gros défaut du film ce n'est pas d'être un "hommage" plutôt qu'un vrai film, une reconstitution factice d'un genre qui n'en méritait peut-être pas tant, ce n'est pas d'être une autocélébration prétentieuse, c'est simplement que Boulevard de la Mort est beaucoup trop bavard, pas franchement très bien joué, et d'un ennui abyssal. Enfin, je sais que je ne convaincrai pas les Tarantinophiles que cette sombre merde n'est pas un chef-d'oeuvre "culte" "totalement maîtrisé" "virtuose" "déjanté" "jubilatoire" et toutes autres couillonnades interchangeables utilisées par les critiques branchouillés quand il s'agit de vendre un film estampillé "film d'auteur, mais cool", mais si je peux épargner à quelques autres le calvaire de ce faux thriller chiantissime, j'estime que j'aurai quand même écrit un article utile pour une fois.
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Boulevard de la Mort (Death Proof, 2007), écrit et réalisé par Quentin Tarantino. Avec Rosario Dawson (Sin City), Zoe Bell (Game of Death), Kurt Russell (Rox et Rouky) (non je vous jure c'est vrai, il fait la voix de Rox en VO).