Avec son monstre au look "image de synthèse" et son slogan ("le plus terrible des prédateurs") sur la jaquette, l'éditeur Antartic a l'air de vouloir nous vendre Gorgo comme un genre de Syfy Original. Comme si c'était un modèle à suivre ! Mais ne vous y laissez pas tromper, Gorgo est en réalité un film britannique réalisé il y a une cinquantaine d'années par un Français spécialiste du film de monstre géant, Eugène Lourié (Le Monstre des temps perdus, Le Colosse de New York...).
Plutôt court (1h15), le film emprunte beaucoup aux deux plus grands classiques du genre, King Kong et Godzilla. Au large des côtes irlandaises, une éruption volcanique libère d'une grotte sous-marine une sorte de dinosaure qui s'en prend aux pêcheurs de la petite île de Nara. Des chasseurs de trésor entreprennent de capturer la bête, qu'ils espèrent vendre à un cirque pour une fortune. Un orphelin du coin essaie de les en dissuader : pour lui, le monstre est Urga, créature mythologique, le protecteur des mers, et de grands malheurs s'abattront sur quiconque l'attaquera. L'appât du gain est trop fort et nos marins ramènent le gros lézard à Londres, où il est exposé en tant que "Gorgo, la 8ème merveille du monde" parce que maintenant que King Kong est mort il n'y a pas de raison de ne pas réutiliser ce surnom. Sa taille relativement modeste permet de le garder sous contrôle. Mais très vite, des scientifiques alertent les autorités : Gorgo ne serait en fait qu'un bébé dinosaure. Et si sa mère, dix fois plus grosse, part à sa recherche, la capitale anglaise risque de se transformer en champ de ruines. Mais le patron du cirque refuse de relâcher sa poule aux oeufs d'or... et évidemment, un "gorgosaure" de 120 mètres de haut ne tarde pas à pointer le bout de ses griffes.
Bien que JJ Abrams et Matt Reeves aient essayé de nous faire croire le contraire avec le décevant Cloverfield, le principal intérêt d'un film de monstre géant, c'est le monstre géant. Ceux de Gorgo sont, comme les créatures de la série Godzilla, des acteurs dans des costumes, filmés au ralenti. Et malheureusement, le résultat n'est pas hyper convaincant. C'est sûr, ça a été tourné en 59 ou 60, donc faut pas s'attendre au top de l'animatronique, mais le pire c'est que ça n'aurait pas trop mal vieilli si deux éléments ne gâchaient l'ensemble : d'abord, l'acteur dans le costume agite beaucoup trop les bras, on croirait un méchant de super sentai genre Bioman, ça le rend plus clownesque que terrifiant. Ensuite, les petites ailettes sur sa tête permettent certes de le différencier de son modèle japonais, mais contribuent elles aussi à lui donner un aspect gentiment ridicule qui s'accorde mal avec le ton du film.
Les trucages ne sont pourtant pas minables, l'insertion de Gorgo dans des décors réels n'est pas mal faite...
...et les maquettes au sein desquelles sa mère évolue sont plutôt crédibles.
C'est dommage parce qu'en dehors de ça, les effets spéciaux ne sont pas totalement ringards. Oh c'est sûr, à un moment, deux soldats tombent d'un pont et on voit clairement que ce sont des poupées, à d'autres on voit un peu trop le détourage quand une image a été incrustée sur une autre, par exemple pour donner l'illusion que des hommes tirent au lance-flammes sur Gorgo, ou que des bâtiments s'effondrent sur la foule. Mais ça ne nuit pas trop à l'ambiance apocalyptique qui règne lors de l'attaque du monstre adulte sur Londres. Il faut dire qu'à la différence d'un Peter Jackson sur King Kong, qui tient tant à nous faire comprendre que son gorille n'est qu'une brave bête qui ne veut de mal à personne qu'on a l'impression que son passage à New York ne fait qu'écraser quelques bagnoles et érafler deux ou trois bâtiments, Eugène Lourié n'hésite pas à montrer une bestiole qui sème la mort partout où elle passe. Et ce tout en parvenant tout de même à la représenter comme un animal qui cherche simplement à défendre sa progéniture, et non une créature maléfique en quête de destruction (comme peuvent l'être certains ennemis de Godzilla, par exemple).
Des bâtiments célèbres qui partent en miettes,
un passage obligé des films catastrophes qui ne date pas d'hier.
Mais si quelques chouettes maquettes de monuments à ravager (chose qui manque cruellement à un Ebirah, Horror of the Deep, par exemple, ou à King Kong 2) et des scènes de panique efficaces fournissent quelques moments réussis, des défauts viennent constamment traîner Gorgo vers le bas. Ainsi, le film abuse de stock shots pour tenter de nous faire croire à une contre-attaque massive de l'armée face au dinosaure géant. Ah ça, il y en a, des bateaux, des tanks et des avions qui se liguent contre la créature, sauf qu'ils ne partagent jamais l'écran avec elle. Ca donne d'ailleurs lieu à quelques séquences à la Ed Wood, quand alternent des images d'archives de chasseurs en vol vraisemblablement tournées à l'aube et des images de Gorgo détruisant Londres alors qu'il fait nuit noire. Et il y a aussi des images d'hommes d'équipage re-doublées pour que les dialogues collent au film, alors qu'on voit bien que les protagonistes remuent peu voire pas les lèvres. Evidemment, on n'était pas encore à l'ère des Michael Bay et compagnie, qui peuvent se faire prêter autant de matériel militaire qu'ils veulent par des corps d'armées ravis de voir des films hollywoodiens se transformer en pubs pour inciter les jeunes à s'engager, mais à trop "tricher", et de manière aussi flagrante et maladroite, Lourié ne rend pas vraiment service à son film qui se retrouve le cul entre deux chaises, entre série B et série Z. On aimerait rire plus, ou ne pas avoir de raisons de rire du tout.
Tout le catalogue d'archives militaires y passe pour donner l'illusion d'une mobilisation massive
contre la bête, mais l'abus de cet artifice devient assez vite pénible.
J'ajoute qu'il ne se passe pas grand'chose de très spectaculaire avant l'attaque de Londres, soit quasiment une heure. Même la capture de Gorgo est vite expédiée. Le reste du temps est passé en bavardages, et même si les acteurs ne sont pas mauvais, aucun n'a vraiment le charisme pour porter le film dans les scènes sans monstres. Tout cela étant dit, même si le film est un peu ennuyeux et un peu raté, il a son petit charme pour quelqu'un qui, comme moi, apprécie particulièrement le genre, ou pour un fan de nanars particulièrement porté sur les "craignos monsters" et un peu indulgent. Ce n'est vraiment pas un indispensable, surtout si le kaiju eiga, qu'il soit japonais ou européen, n'est pas votre tasse de thé, mais pour 3€, je ne pense pas non plus que ce sera un achat que vous regretterez si voir un cascadeur en costume en latex défoncer Big Ben ou le Tower Bridge est le genre de chose devant laquelle vous aimez passer vos dimanches pluvieux.