J'ai l'impression que les Japonais adaptent rarement leurs BDs à l'écran autrement que sous forme de dessins animés. Alors que les Occidentaux adorent tellement ça qu'ils vont jusqu'à adapter des mangas en plus de leurs propres petits miquets. Ikigami fait partie de ces quelques titres ayant donné lieu à un film en prise de vue réelle, vraisembablement parce que c'est ce qui coûte le moins cher à produire quand il n'y a ni scènes d'action ni effets spéciaux. L'histoire se prêtait plus à une adaptation sous forme de série télé que de long métrage cinéma, mais j'étais quand même curieux de voir la chose, étant donné qu'Ikigami est l'un des rares mangas que j'apprécie.
Pour ceux qui ne connaissent pas, l'intrigue décrit un Japon imaginaire où, un peu comme dans Battle Royale, le gouvernement a mis en place une mesure punitive aléatoire abominable contre la population afin de lui montrer qui c'est Raoul. Lors de la vaccination obligatoire des enfants entrant en primaire, un élève sur mille tiré au hasard reçoit sans le savoir une micro-capsule explosive qui le tuera à une date programmée entre ses 18 et ses 24 ans. Ca s'appelle la "loi de prospérité nationale" et c'est censé apprendre aux citoyens la valeur de la vie pour qu'ils se tiennent à carreaux au lieu de gâcher leur fugace existence à devenir des marginaux et des improductifs. Chaque "heureux élu" se voit remettre, 24 heures avant sa mort, un "ikigami", un préavis censé lui permettre de profiter au mieux de sa dernière journée de vie. Le film reprend plusieurs épisodes tirés des premiers tomes du manga et relate les derniers jours d'une galerie hétéroclite de ces jeunes condamnés, avec pour fil conducteur le parcours de Fujimoto, fonctionnaire fraîchement affecté à la distribution des préavis.
Le film présente un peu maladroitement le concept de l'ikigami
en faisant expliquer la fameuse loi de prospérité nationale
aux futurs livreurs alors même qu'ils viennent de terminer leur formation...
Ceux pour qui la fidélité à l'oeuvre originale est le critère de qualité numéro 1 peuvent se réjouir, le film dévie très peu du manga. La qualité de l'univers, des personnages et des scénarios se retrouve, c'est porté par de bons acteurs, c'est peut-être un poil plus larmoyant et c'est assez platement mis en scène mais en surface, l'adaptation est une réussite. Malheureusement, l'absence d'intrigue inédite pose deux problèmes. Le premier c'est que ça n'apporte pas grand'chose à quelqu'un qui a déjà lu le manga. Bon, c'est pas gravissime, certains pourront sûrement même s'en satisfaire. Mais le deuxième, nettement plus contrariant, c'est que ce choix de coller bout à bout plusieurs épisodes de la BD, c'était une bonne idée pour un pilote de série télé, mais pas du tout pour un film. Ca aurait peut-être pu fonctionner si l'accent avait été mis sur les vicissitudes de la carrière de Fujimoto, mais le personnage est ici trop mis en retrait, pas assez développé, il ne sert quasiment qu'à faire le lien entre les 3 mini-intrigues du film.
Les acteurs, leurs personnages et leurs histoires sont de qualité,
mais au final l'ensemble n'est pas totalement convaincant.
Et je ne nie pas que ce sont des histoires intéressantes, il y a un musicien qui reçoit son ikigami alors qu'il était sur le point de devenir une star, un jeune homme qui profite de sa mort proche pour offrir ses cornées à sa soeur aveugle en attente d'une greffe, et le fils d'une politicienne qui se retrouve victime de cette loi de prospérité nationale que sa mère défend avec tant de conviction lors de ses discours. Mais faute d'être plus imbriquées les unes dans les autres, elles ne forment pas une vraie intrigue de film. Pire, elles sont présentées d'une façon qui donne presque l'impression qu'au bout du compte, elle n'est pas si atroce que ça, cette loi qui tue arbitrairement les gens. Le manga est plus habile, plus ambigu sur le sujet. Là, je ne sais pas, on croirait presque un truc édifiant censé réellement nous inciter à profiter de l'instant présent ou à voir le bon côté des tragédies, plutôt qu'une vision cauchemardesque d'une société qui écrase l'individu au nom du bien commun et une satire des administrations inhumaines. Le fait que tout cela se termine sans aucune "résolution" ni vraie progression de la situation n'aide pas. La fin appelle une suite, qu'on ne verra probablement jamais. Du coup, ça reste simplement quelques tranches de la vie de pauvres gosses dont la mort parvient quand même à amener quelque chose de positif, tandis qu'un fonctionnaire découvre que quelques sacrifices de sa part peuvent adoucir légèrement l'horreur de son travail.
La complexité des rapports qu'entretient Fujimoto avec son travail
dans la BD n'est hélas pas très bien restituée à l'écran.
Au risque de me répéter : ça aurait été chouette en série télé, mais en tant que film de 2h10, ça laisse à désirer. Ca n'est pas un ratage complet, ça peut être un moyen d'attirer vers le manga des gens qui n'avaient pas forcément envie de se plonger dedans, et si je n'avais moi-même jamais lu Ikigami j'aurais sans doute été tellement séduit par l'originalité de son concept de base que j'aurais été nettement moins sévère face aux défauts de cette adaptation. Malheureusement, le côté superficiel et décousu et la conclusion en eau de boudin en font surtout une vraie grosse déception pour moi.