Après avoir vu les deux Hostel et parlé de ce terme idiot de "torture porn", je me suis rappelé d'un coup que je n'avais jamais vu le film qui avait lancé la machine (et qui, avec son interminable série de suites, est probablement celui qui contribue le plus à la mauvaise image de cette branche du cinéma d'horreur moderne) : le premier Saw. Comme ces jours-ci on le trouve en supermarchés pour 5 €, je me suis dit que j'allais corriger ça.
Le scénario paraît plutôt malin de prime abord. Deux types sont enfermés dans une salle de bain dégueulasse, chacun est enchaîné à un bout de la pièce. Entre eux il y a le cadavre d'un homme qui s'est suicidé. Ils ne se connaissent pas et ne savent pas ce qu'ils font là. Mais l'un des deux se doute qu'ils sont prisonniers d'un serial killer qui sévit depuis quelques mois, et qu'il va comme à son habitude les contraindre à participer à un "jeu" tordu dans lequel l'échec signifie une mort atroce. Et la règle ne tarde pas à leur parvenir : l'un doit tuer l'autre pour gagner sa liberté. Peu enclins au meurtre, et de toutes façons coincés dans une situation qui les empêche de s'entretuer, les deux hommes unissent leurs efforts pour tenter de dénicher les indices censés aider l'un d'eux à remporter le "jeu". Mais alors que l'heure tourne, les chances de s'en sortir vivants et en un seul morceau s'amenuisent...
Tourné pour un budget réduit (enfin, d'après les critères hollywoodiens, mais sinon pour les gens normaux ça fait 60 ans de SMIC), le film emploie quand même une poignée de visages connus : Cary Elwes de Princess Bride dans le rôle de l'un des prisonniers, Danny Glover en flic obsédé par la capture du tueur, Dina Meyer de Starship Troopers et Ken Leung de Rush Hour parmi ses collègues... Pas de grosses vedettes c'est vrai, mais par rapport à la moyenne des films d'horreur dont le casting est du genre "une fille qui était dans un épisode de Dawson, un gars qui avait deux répliques dans Smallville, et cette autre fille qui a fait de la figuration dans Destination Finale 3", c'est pas trop mal, c'est avec ça qu'on se dit qu'au départ l'ambition était plutôt de faire quelque chose à la Seven et pas de lancer la mode de l'ultra-sordide dans le cinéma d'horreur. Malheureusement, ils n'apportent finalement pas vraiment de valeur ajoutée très concrète au produit, notamment Glover qui a l'air de penser, tout du long, "A mon âge je devrais être autorisé à prendre ma retraite et pas être obligé de jouer dans des films comme ça pour gagner ma vie".
Ca fait bientôt 25 ans qu'il le répète : Roger Murtaugh est trop vieux pour ces conneries.
Et c'est bien dommage parce qu'il faut bien dire que le fameux scénario ne fait pas illusion longtemps. Le film abuse des flashbacks pour ne nous dévoiler ses mystères que petit à petit, vieille ficelle très usée et censément justifiée par le fait que les personnages, frappés d'amnésie partielle (ce qui est d'ailleurs une ficelle usée aussi), recouvrent la mémoire peu à peu, mais on a beaucoup de mal à y croire, les auteurs ayant trop sacrifié la vraisemblance à leur envie de garder le plus longtemps possible quelques révélations-choc dans leur manche. Les gros oublis des deux prisonniers et leurs soudaines retrouvailles avec leurs souvenirs sont un peu trop "pratiques", un peu trop bien adaptés aux besoins du tordu qui les manipule. Il en va de même pour leur comportement, de manière générale. Leurs réactions ne sont pas totalement plausibles. A la limite je comprendrais qu'ils décident de jouer le jeu de leur geôlier et de s'entretuer dès le départ, mais sinon, je suppose qu'ils choisiraient de s'entraider au maximum pour mettre toutes les chances de leurs côtés. Là, on est entre les deux, et cette façon de coopérer à contrecoeur, de se mentir tout le temps, c'est des méthodes de candidats de télé-réalité qui veulent gagner le gros lot, pas d'otages en danger de mort.
Les prisonniers font des efforts surhumains pour s'emparer du dictaphone au centre de la pièce,
mais le flingue qui leur permettrait de faire sauter leurs cadenas ne semble pas les intéresser, ce serait trop de la triche.
Avec tout ça, le fameux Jigsaw, le tueur au puzzle, ne paraît pas si malin que les scénaristes semblent penser qu'il est. Ses super plans diaboliques fonctionnent à la perfection, c'est vrai, ce qui peut donner l'impression qu'il a toujours avance sur tout le monde parce qu'il est super intelligent. Mais en fait il a simplement une chance invraisemblable, celle que tout le monde réagisse toujours de LA bonne façon, celle qui n'est pas trop crédible mais qui fait que sa machination peut se poursuivre jusqu'à remplir 80 minutes de film. Par exemple aucun des deux prisonniers ne fait la moindre tentative pour essayer de s'emparer du flingue qui se trouve dans la pièce et briser sa chaîne avec. Ou bien, après avoir trouvé des scies, aucun des deux n'envisage de tenter de couper autre chose que sa chaîne avant que la fin du film n'approche, et là d'un coup ça devient "bon ben je vais me couper le pied alors" sans même y réfléchir à deux fois. Alors bon, peut-être que je me prends trop la tête, mais pour moi le méchant du film n'est pas vraiment le genre génie démoniaque. C'est un donneur de leçons à deux balles qui se donne un mal fou à piéger des crétins. En plus, histoire de faire l'original, au lieu d'avoir un masque il a une vilaine marionnette, sauf que c'est nul, une marionnette. Mais voilà, c'est un type qui se casse le cul à trafiquer un piège à ours et à faire des vidéos avec une marionnette pour apprendre la valeur de la vie à une droguée. Y a un côté François Pignon version Dîner de Cons chez ce type. Il construit pas de Tour Eiffel en allumettes, mais on l'imagine bien jubiler tout seul en racontant comment il a dû travailler 300 heures pour disposer correctement les quatre tonnes de punaises qu'il a utilisées pour punir un employé de bureau qui gâchait les post-it.
Et alors comme ça vous aimez les marionnettes ?
Oh, je sens qu'on va passer une bonne soirée, Monsieur Pignon, une très bonne soirée !
Pour ne rien arranger, le réalisateur a eu la main lourde sur les effets à la con très prisés dans le cinéma de merde depuis quelques années. La caméra qui se met à tourner autour d'un personnage fixe, les accélérations, le montage tout en hachures, clignotements et saccades, toutes ces conneries que reprennent les jeunes metteurs en scène sans grand talent pour faire croire qu'ils ont du style. Tout ça sur fond de musique de bourrins à grosses guitares qui grognent, histoire de parfaire cet aspect "Regarde comme mon film c'est trop un film de ouf malade, avec des images comme ça tu croirais des hallucinations cauchemardesques de drogué hein pas vrai ?" qui vous donne surtout l'impression que vous allez mourir d'une des pires façons du monde : d'une crise d'épilepsie en écoutant du Fear Factory.
Malgré quelques séquences sanglantes, Saw n'est pas hyper gore,
l'édition DVD que j'ai eue à 5 € ne porte d'ailleurs pas de mention "déconseillé aux moins de 16 ans".
Bref. Le méchant est un ringard, le scénario abuse de facilités, les acteurs sont ternes, la réalisation sombre trop souvent dans le clip de trash metal insupportable. Que reste-t-il donc à Saw, qui a bien pu séduire suffisamment de gens pour donner lieu à tant de suites et produits dérivés ? Eh bien, il reste l'implication du spectateur dans le petit jeu puéril du "et toi, tu serais cap' ?" La jaquette de cette réédition s'adresse directement à vous avec son "Combien de sang devriez-vous verser pour rester en vie ?", et au bout du compte, c'est principalement cette interrogation tacite qui fera que vous serez impliqué ou non dans le film : "et vous, à la place de ce personnage, vous feriez quoi ?" Pour sauver ta vie, tu serais cap' de plonger la main dans du caca pour ramasser un indice ? Tu serais cap' d'éventrer un gars pour récupérer une clé ? Tu serais cap' de tuer le mec en face de toi dans la cellule ? Tu serais cap' de te couper un membre ? Enfin vous voyez le genre. Les considérations débiles qui vous font délirer quand vous êtes ado mais qu'on trouve un peu moins marrantes en grandissant, parce que bon, finalement, réfléchir sur "tu préférerais boire un bol de pus ou te faire arracher un bras ?" n'est quand même pas si intéressant que ça.
Et toi, hein, tu ferais quoi à sa place ?
Alors voilà, si vous vous sentez prêt à vous investir émotionnellement dans ce genre de questionnement métaphysique, vous trouverez peut-être un intérêt au premier épisode de la quête dérisoire que mène cette vieille nouille de Tueur au Puzzle avec ses mises à mort que même un méchant de James Bond trouverait inutilement complexes. Pour ma part, je regrette que ce qui ressemble plutôt à une bonne idée au départ soit finalement si mal exploité. Il y avait quelque chose de mieux à faire sur cette histoire de jeu de piste en huis-clos, de prisonniers amenés à coopérer puis s'affronter pour leur survie. Si vous n'êtes vraiment pas trop exigeant, à 5 € vous y trouverez peut-être votre compte, mais à mes yeux c'est plutôt un ratage.