Si comme moi vous avez été petit il y a très longtemps, mettons vingt ans, vous vous souvenez peut-être d'une société qui faisait sa pub par des encarts dans les magazines télé, une espèce d'équivalent de France Loisirs, mais pour des cassettes vidéo au lieu de bouquins. Je suppose qu'ils ont disparu en même temps que la VHS et la majorité des vidéoclubs maintenant, mais si je vous en parle, c'est parce que l'un des films de leur brochure m'intriguait particulièrement à l'époque : un Stallone qui ne passait jamais à la télé, à une époque où il avait pourtant le vent en poupe, un truc avec une jaquette bleue et un titre jaune qui disait en grosses lettres Les Seigneurs de la route. Pourquoi ce film n'existait-il apparemment que dans les catalogue de ces gens ? Etait-ce un sous-Mad Max tellement mauvais qu'aucune chaîne ne voulait le diffuser ? Mystère...
Beaucoup, beaucoup plus tard, quand est sorti Course à la mort avec Jason Statham qui fut présenté comme un remake d'un film nommé La Course à la mort de l'An 2000, je n'ai pas fait le rapprochement avec Les Seigneurs de la route. Et puis il y a quelques jours, je suis tombé sur cette réédition minable de chez North Entertainment/Barucq Films/Prism Vision/les charlatans qui font des transferts de VHS moisies sur DVD qu'ils refourguent dans les solderies pour 2 € et changent de nom tous les deux mois. Ca s'appelle juste Seigneurs de la route sans article, et c'est Les Seigneurs de la route, le vieux Stallone à jaquette bleue, et c'est La Course à la mort de l'An 2000 aussi, et c'est également ce que Mad Movies avait publié sous le titre original Death Race 2000. Le mystère est élucidé, merci Prism Vision, quel que soit votre véritable nom.
Si le portrait de Stallone qui orne la jaquette provient visiblement d'un autre film
(et exagère l'importance de son rôle), en revanche pour une fois le reste de l'image
n'est pas trop mensonger comme vous pouvez le constater ici.
Film d'anticipation fauché des années 70, Seigneurs de la route se déroule dans un futur passé, l'an 2000, où un dictateur a profité d'une crise économique sans précédent pour s'emparer du pouvoir en promettant au peuple de lui ramener la prospérité en échange de sa soumission totale. Dans la grande tradition des empereurs romains, le Président des Provinces Unies d'Amérique occupe ses sujets en parrainant tous les ans l'équivalent futuriste des jeux du cirque : la Course à la Mort, une course automobile transcontinentale au cours de laquelle les concurrents sont encouragés non seulement à s'attaquer les uns les autres, mais surtout à éclater sur leur passage autant de piétons qu'ils pourront afin de marquer plus de points. Au début de l'histoire, cinq équipages s'apprêtent à se lancer dans la vingtième édition de l'épreuve, mais un groupe de résistants a décidé de la saboter de l'intérieur en faisant embaucher l'une des leurs comme copilote de Frankenstein, le favori du Président. L'idée étant de l'enlever pendant la course pour contraindre le Président à l'annuler définitivement. Mais ce plan est loin d'être sans accrocs : Frankenstein est suffisamment rusé pour ne pas tomber dans les pièges des rebelles, et son principal rival Mitraillette Joe semble bien décidé à l'éliminer le premier...
Pour la 20ème édition de la course, les organisateurs ont modifié le règlement et
les commentateurs interviennent à plusieurs reprises pour expliquer les changements,
un moyen pas trop maladroit voire assez malin d'exposer des éléments importants du film au spectateur.
C'est feu David Carradine qui incarne Frankenstein, le champion masqué looké sadomaso hardcore, tandis qu'un jeune Stallone débutant campe Joe. Mais avouons que, même si les différentes jaquettes s'efforcent de nous vendre ça comme un duel au sommet entre les deux acteurs connus du film, Joe n'est vraiment qu'un personnage secondaire et que le film s'intéresse surtout à l'énigmatique Frankenstein et au monde dans lequel il évolue. Comme c'est une production Roger Corman tournée pour un prix avec lequel aujourd'hui un studio n'aurait même pas les moyens de payer un marketeux pour promouvoir un film sur Facebook et Twitter, ces Etats-Unis de l'an 2000 sont surtout montrés par le biais des routes désertes parcourues par les pilotes et des hôtels de luxe qu'ils fréquentent lors des ravitaillements. Ca n'est clairement pas le genre de film de SF qui cherche à épater le chaland avec des robots, des lasers et des vaisseaux, même s'il y a tout de même une quantité respectable de cascades en voitures, explosions et tueries brutales (avec des effets gore à base de viande hachée et sauce tomate) pour assurer le spectacle.
On appréciera tout de même quelques effets spéciaux charmants de désuétude,
comme ce matte painting qui semble avoir été réalisé aux crayons de couleurs avant d'être incrusté
aux prises de vues réelles pour simuler une image de ville futuriste.
On est donc plutôt dans la satire, une vision cauchemardesque d'une société tombée dans le fascisme et la barbarie. Et si les costumes et coupes de cheveux apparaissent aujourd'hui totalement ringards, en revanche l'aspect "caricature des dérives du monde moderne" n'a pas si mal vieilli. Je n'irai pas jusqu'à prétendre que le réalisateur et ses scénaristes nous offraient là une histoire prophétique, mais leurs prédictions ne sont pas ridicules pour autant. Je m'en veux un peu d'établir ce parallèle parce qu'être le cent-millionième mec à taper sur la télé-réalité me donne l'impression de tirer sur un corbillard, mais quand on voit ce que des gens sont prêts à faire dans certaines émissions pour un peu de gloire et de fric, l'idée d'un spectacle dont les fans sont prêts à se jeter sous les roues de leurs idoles pour les faire gagner n'apparaît pas franchement invraisemblable. Et sans verser carrément dans la comédie à la Planet Stupid, le film multiplie les petites touches d'humour noir de ce type, ce qui est plutôt sympathique.
Seigneurs de la route multiplie les morts sanglantes tout en condamnant l'excès de violence
dans les médias, mais a le bon goût de ne pas en faire des tonnes sur le sujet.
Tout en restant de la série B c'est donc plutôt pas con sans se prendre pour autant pour un film sérieux et important "à message". Ca frôle un peu l'hypocrisie propre aux films qui prétendent s'indigner de la soif du public pour les spectacles violents tout en utilisant eux-mêmes la violence pour distraire le spectateur, mais sans se montrer aussi détestable que Les Condamnés par exemple, notamment parce que ça n'est pas trop manichéen. Le héros est moralement ambigu, les résistants apparaissent comme des gens qui se trompent de combat même s'ils sont animés de bonnes intentions. Mais au-delà de tout ça, c'est finalement avant tout un film d'action plutôt destiné au divertissement qu'à faire réfléchir. Et à ce niveau-là, sans être exceptionnel c'est plutôt réussi. Outre les explosions de bagnoles, on a droit à divers rebondissements, des gags macabres, des plans nichons purement gratuits. Et pour une fois, les adversaires du héros ne sont pas simplement des visages qui se retrouvent barrés d'une croix lorsqu'ils sont éliminés ; je n'irai pas jusqu'à dire que leurs personnalités sont très développées, mais au moins, chacun a un style bien reconnaissable (le mafioso, la nazie...) et le temps d'exister un peu à l'écran en dehors des scènes de course.
Lors des ravitaillements, pilotes et copilotes se font masser et se chamaillent sous les caméras,
l'occasion de montrer un peu de chair fraîche, l'effet spécial pas cher du cinéma à micro-budget.
Au bout du compte, le film est plutôt chouette mais je n'ai pas non plus eu l'impression d'avoir affaire à un petit chef-d'oeuvre oublié. Dans son genre c'est pas mal, ça enfonce largement des films de "contre-utopie" (je crois qu'on ne dit pas "dystopie" en français) modernes comme Aeon Flux ou Southland Tales, et sur le thème des sports futuristes c'est largement meilleur que Les Condamnés ou Ultimate Game, mais c'est pas un grand classique à la RoboCop, juste un bon petit moment de "cinéma bis" qui mérite d'être redécouvert, et l'un des meilleurs films fourgués par cet éditeur pour le moins louche. Au passage, si c'est la version dont la jaquette est présentée ici que vous vous procurez, soyez prévenus qu'il s'agit d'une bête copie de la version VHS, avec une qualité d'image pour le moins discutable et une VF pas franchement géniale. Pour 2 ou 3 € il y a quand même de quoi passer un bon moment.