Etant donnée la date du jour, je me suis dit que ce serait une bonne idée de me refaire ce film qui fête ses 30 ans cette année : le tout premier Vendredi 13. Un film que tout le monde connaît de nom, dont tout fan d'horreur a forcément vu une suite, une copie ou un remake, mais qu'on n'est peut-être pas tant que ça à avoir revu récemment. Enfin je ne sais pas. C'est juste une supposition, liée au fait qu'il passe généralement pour le "cancre" auprès des autres grands classiques du genre comme le premier Halloween ou le premier Massacre à la tronçonneuse, alors qu'il n'est vraiment pas mauvais et que je pense donc que cette réputation lui vient probablement de l'image véhiculée par ses nombreux imitateurs et suites plutôt que de ses qualités propres.
Vendredi 13 démarre dans les années 50, alors que deux moniteurs d'un camp de vacances sont poignardés. 20 ans plus tard, alors que d'autres tragédies ont entraîné à plusieurs reprises la fermeture de Camp Crystal Lake, le fils de l'ancien propriétaire entreprend de le retaper pour tenter une nouvelle fois de le rouvrir. Des jeunes viennent d'arriver pour l'aider, et il en profite donc pour retourner faire une course en ville, les laissant s'occuper seuls des travaux pour cette journée de vendredi 13. Et en son absence, quelqu'un les assassine sauvagement, les uns après les autres...
Très sauvagement même, pour certains.
C'est vrai que le synopsis ressemble à celui de ouatmille autres films sortis au cours des trente dernières années, et c'est vrai que quand on connaît déjà l'histoire, tous les efforts déployés pour plonger le spectateur dans le mystère et l'y garder le plus longtemps possible peuvent paraître assez dérisoires. En fait, pour les gens qui voyait ça pour la toute première fois en 1980, il n'y avait même aucun moyen de se douter de l'identité de l'assassin avant qu'elle ne soit dévoilée dans la dernière demi-heure ; tous les premiers meurtres sont filmés à la première personne et il n'y a jamais l'ombre d'un indice qui aurait pu amener à se dire "Ha ha, je le savais !" au moment de la révélation. Pour chipoter, je pourrais même dire que justement ça va un peu trop loin, ça sort vraiment de nulle part. L'intrigue et la mise en scène ménagent habilement la surprise mais je pense que ça n'en aurait été que plus percutant s'il y avait eu par exemple un plus gros effort pour envoyer le spectateur sur de fausses pistes avant de lui asséner ce "en fait c'est ... qui a fait le coup". Quelques personnages peuvent apparaître comme de vagues suspects mais je pense que même quelqu'un qui ne connait pas la fin du film ne mordra pas à l'hameçon.
La caméra signale régulièrement aux spectateurs qu'un individu menaçant surveille les moniteurs,
mais ne nous dévoile jamais son aspect avant la révélation finale.
Mais bon, comme je disais, c'est vraiment histoire de pinailler. Sans être un chef-d'oeuvre, le film de Sean S. Cunningham se révèle être un chouette thriller, assez malin, et largement meilleur que dans mes souvenirs en fait. On y trouve certes tous les éléments de ce qui est devenu la formule classique du slasher movie (à commencer par la galerie de personnages du groupe de jeunes, avec le queutard et la cochonne, le blagueur assez connard sur les bords, la fille un peu plus sage...) donc même si à l'époque c'était plus ou moins nouveau, on pourrait se plaindre aujourd'hui que tout ça est un petit peu trop cliché. Mais tout comme l'original d'un document est de meilleure qualité que la photocopie de la photocopie de sa traduction sous Babelfish, Vendredi 13 a encore les qualités qui se sont ensuite perdues au fil des reproductions. Tout ce qui par la suite a été dilué, oublié, abêti, ce dont les Scream et autre Derrière le masque ont pu se moquer depuis, est encore ici sous forme non-risible, non-caricaturale. Pas vraiment de "on fait des groupes de 1" par exemple ; au lieu de séparer des personnages qui ont toutes les raisons de vouloir rester ensemble pour mieux se défendre, le scénario les sépare à un moment où ils n'ont aucune raison de soupçonner un danger (aucun cadavre n'est découvert avant le dernier tiers du film).
Quelques années plus tard, Les Griffes de la Nuit verraient les débuts de Johnny Depp,
Vendredi 13 en revanche avait un jeune Kevin Bacon à l'affiche.
On évite aussi le syndrome du "y a une actrice plus connue que le reste du groupe donc dès le début on sait que c'est elle qui va survivre jusqu'au bout" (qu'on trouve entre autres dans le remake de Massacre à la tronçonneuse), qui tue un peu le suspense. Tous les jeunes étaient des débutants ou quasi-débutants (Kevin Bacon n'a percé que quelques années plus tard), donc n'importe qui peut finir avec un couteau dans le ventre à n'importe quel moment. Et puis, comme c'était un précurseur, ça reste premier degré, sans hommage, sans clin d'oeil, sans autodérision, rien. Et ça manquerait presque, à notre époque, ça. Maintenant presque tous les réalisateurs d'horreur se sentent obligés de nous montrer qu'ils connaissent bien le genre dans lequel ils oeuvrent (à ce propos, j'en profite pour vous dire que j'ai vu récemment l'abominable Smash Cut, et qu'il faut le fuir à tout prix), un poster d'un film d'Argento dans un coin du décor, un personnage secondaire qui s'appelle "Romero" ou "Carpenter", un qui pointe du doigt que "c'est exactement comme dans un mauvais film d'horreur" pour nous faire croire qu'ici on n'est pas dans un mauvais film d'horreur puisqu'on a conscience des défauts et qu'on s'amuse avec. Ici, rien de tout ça, et c'est tant mieux, un retour aux sources ne fait pas de mal. Il y a juste un moment où j'ai cru à un hommage à Shining, parce que je pensais que Shining remontait aux années 70. Alors qu'en fait, Shining est sorti exactement deux semaines après Vendredi 13.
C'était aussi l'époque plus innocente, où vous pouviez faire le bûcheron à moustache
en short en jean et bandana sans que quelqu'un ne fasse des sous-entendus sur votre sexualité.
Alors c'est vrai que Vendredi 13 est quand même loin d'être parfait. Les acteurs, par exemple, ne sont pas toujours très bons. Ils ont une vilaine tendance à tirer des gueules pas possibles au moment de se faire tuer, ce qui décrédibilise un peu les scènes de meurtres, alors que les effets sanglants (signés Tom Savini) sont pourtant réussis. Et ceux qui espèrent voir un colosse avec un masque de hockey poursuivre des jouvencelles avec un instrument tranchant pendant 1h30 seront sans doute déçus. En revanche, on voit déjà ce qui deviendra l'un des éléments emblématiques de la série : les meurtres se font à l'aide d'instruments divers et variés tout au long du film, couteau, flèches, hache, machette... A ce sujet, personnellement j'ai trouvé assez astucieux le fait que le réalisateur introduit d'abord les "armes" en question sous forme d'outils dans les mains des futures victimes, avant de les placer dans celles de leur bourreau. Mais bon, pour certains ça ne sera peut-être qu'un détail pas spécialement intéressant. Dans tous les cas je dirais que c'est un film qui mérite vraiment d'être découvert ou redécouvert, plus réussi que la moyenne de ce qui se fait de nos jours, plus réussi que son faux remake, pas aussi farfelu que sa dernière vraie suite, et devant lequel un amateur d'horreur passera un bon moment. Un éditeur spécialisé dans la vente en kiosque à journaux de tout et n'importe quoi l'a proposé il y a quelques mois dans sa nouvelle collection, et à 6 €, c'était une chouette affaire, même si on se retrouve avec une image de jaquette rétrécie pour laisser place à tous leurs logos. Sinon, ça doit se trouver pour dix euros ailleurs, et même à ce prix, pour un amateur du genre, ça vaut le coup.