Sur le marché du DVD "bis", depuis la mort de Neo Publishing il nous restait Wild Side pour le dessus du panier, Bach Films et ses vieilles perlouzes libres de droit, Uncut Movies pour le gore crade allemand irregardable, le Chat qui fume qui s'adresse presque exclusivement aux amateurs de porno français vintage avec Brigitte Lahaie, et l'éditeur fantôme Prism qui sort à peu près n'importe quoi à partir de cassettes pourries des années 80-90. Mais aucun éditeur pour se consacrer exclusivement au nanar, le "mauvais film sympathique", que tant de non-initiés confondent avec le navet (et que tant de mauvais cinéastes fauchés essaient sans succès d'imiter volontairement). Et puis cette année, les spécialistes du genre se lancent enfin : ça y est, Nanarland, le site qui explore depuis 10 ans le joyeux monde de la série Z pour débusquer les ratages les plus drôles, se lance dans l'édition de DVDs. Et attention, pas avec du VHSrip moisi de merdes innommables sous jaquettes volantes, hein : ils démarrent fort, avec une belle sortie d'Il était une fois le Diable à l'occasion des 25 ans du film, souvent qualifié de "Plan 9 from Outer Space à la française".
Le film s'ouvre sur une série de meurtres sanglants de campeurs dans la campagne normande (mais une plaque minéralogique de Floride insinue que ça se passe aux Etats-Unis, petite ruse dérisoire pour faciliter l'exportation !) commis par un homme difforme affublé d'une veste d'officier nazi. Puis on suit un couple de vacanciers dont la femme est victime d'hallucinations de chat noir, et que des soucis de bagnole vont pousser à s'arrêter dans une auberge lugubre (en fait le Palais Bénédictine de Fécamp filmé la nuit). Là, les tenanciers leur parleront d'une légende selon laquelle la région est maudite depuis le naufrage d'un navire anglais ramenant une mystérieuse cargaison d'Egypte, parce que ce sont des gens accueillants comme ça. Et de fait, c'est une nuit bien étrange, peuplée de créatures de cauchemar, qui commence pour la jeune femme...
Elle croisera notamment une momie tellement pauvre qu'elle est contrainte de vivre
debout derrière un simple couvercle de sarcophage.
Pour un nanardeur, le visionnage d'Il était une fois le Diable est vraiment une expérience à ne pas manquer. Au début les plus sceptiques pourront craindre un simple slasher pouilleux, qui fait rire quelques minutes à cause de son tueur à grosse tête d'Elephant Man grognant comme un demeuré en permanence, mais qui s'essouffle vite pour devenir surtout ennuyeux. Rassurez-vous : c'est pas de l'arnaque à la Gingerdead Man, c'est de la bonne. Les première minutes valent déjà leur pesant de cacahuètes, avec des morts qui continuent de respirer et des blessures au couteau qui n'en finissent pas de saigner à gros jets, et passée cette introduction qui ressemble à une revisitation façon Red is Dead de La Colline a des yeux, on se retrouve temporairement devant ce qui pourrait être les scènes de transition sans sexe d'un porno old school du terroir, au vu des décors, de la mise en scène et du jeu des acteurs. Enfin, Devil Story dérive vers le n'importe quoi le plus complet, une succession de scènes absurdes aussi horriblement mal filmées que mal jouées où l'on trouvera pêle-mêle un cheval maléfique, un chasseur qui s'acharne à lui faire la peau à coups de fusil à pompe aux munitions illimitées, une momie, un bateau-zombie qui sort de terre...
Malgré les apparences, non, ce n'est pas Partie de chasse en Sologne.
C'est débile et ridicule à tous les niveaux, et la réputation d'Ed Wood français du réalisateur-scénariste Bernard Launois se révèle assez juste : l'ambition est là, mais il manque le talent, le budget et le savoir-faire. Cela dit, la comparaison a ses limites, puisque là où le papa de Plan 9 cherchait visiblement à imiter les films de SF et d'horreur de son temps, en version idiote, fauchée et mal foutue, l'auteur de Touch'pas à mon biniou signait pour sa part, avec ce qui deviendrait le dernier film de sa carrière, quelque chose de vraiment unique. Il voulait concurrencer les Halloween, Massacre à la tronçonneuse ou Vendredi 13, à la place il a accouché d'une aberration qui ne ressemble à rien, un peu plus d'une heure d'images grotesques assemblées de manière incohérente. Des éléments inexplicables (pourquoi le tueur a une veste d'uniforme SS ?), des scènes qui s'étirent à l'infini (le vieux qui tire sur le cheval toute la nuit...), des rebondissements incompréhensibles et saugrenus (la momie s'acoquine avec une morte-vivante qui ressemble trait pour trait à l'héroïne, en brune !). On est constamment surpris, destabilisé, et chaque fois qu'on se dit que ça ne pourra pas être plus con, il ne faut pas longtemps avant d'avoir l'occasion de constater qu'on avait tort.
L'aubergiste passe des heures à éjecter des douilles invisibles en canardant le canasson...
...mais sa persévérance paie puisque, contrairement à la légende, il finit bien par réussir
à partager un ou deux plans avec l'animal.
Mais vous me direz, quand on est fan du genre, un nanar mythique comme Devil Story, on l'a déjà vu, pas la peine de claquer 15€ pour l'avoir en DVD. Vous auriez évidemment bien tort, comme d'habitude, bande de cons. D'abord parce que, même si ce n'est pas vraiment avec ce film que vous aurez l'impression de rentabiliser à fond votre grand écran HD et votre système Dolby Digital 5.1, cette édition propose une image et un son d'une qualité que vous aurez du mal à retrouver dans les rips de VHS récupérables sur le net. Et nanar ou pas, on va pas cracher sur un meilleur confort de visionnage et d'écoute. Mais ce qui rend vraiment l'achat incontournable, ce sont les bonus fournis avec le film. Et pourtant, moi qui vous dis ça, généralement pour un film "normal" c'est vraiment quelque chose dont je me bats gentiment les steaks. Et dans un souci d'honnêteté, je précise d'ailleurs que les bonus de Devil Story ne sont quand même pas tous indispensables ; certes y a des trucs rigolos (la fausse pub pour France Mannequins...) mais d'autres qui tombent un peu à plat. Mais la partie documentaire rattrape largement les déceptions de certains des bonus à vocation humoristique.
Pour les fétichistes il y a aussi des blessures en viande qui éjaculent
bien fort sur leurs victimes.
Comment est né un film pareil ? Comment tout a pu foirer à ce point ? Qu'est-ce qui passait par la tête des gens qui ont fait ça ? Qu'est-ce qu'ils en pensent aujourd'hui ? Le DVD propose un documentaire, Il était une fois Devil Story, et un commentaire audio du réalisateur sur plusieurs scènes, pour répondre à ces questions. Avoir l'occasion d'écouter les gens qui ont bossé dessus raconter l'expérience et donner leur avis sur le résultat, voilà ce qui fait tout le sel de cette édition, et fait attendre avec impatience les prochains films estampillés "Les Improbables de Nanarland.com". Surtout que le réalisateur Bernard Launois et son actrice Véronique Renaud ne sont pas ici en mode "promo" : interviewés 25 ans après la sortie du film, alors que sa réputation est faite et que leurs carrières sont terminées, ils peuvent en parler librement, sans chercher à convaincre que leur produit est génial, sans chercher à ménager les susceptibilités de leurs confrères. Et là où on peut facilement imaginer que certains journalistes télé n'auraient pas eu d'autre préoccupation que de leur faire dire "Excusez-moi, je suis un minable et mon film est une merde", les gens de Sheep Tapes ont eu la classe de les laisser donner leur version de l'histoire.
L'acteur qui joue LE MONSTRE (qui n'est autre que fils du réalisateur) s'est pris accidentellement le pied dans la tente,
mais comme refaire une prise ça perd du temps, la scène a été conservée comme ça.
Je ne vais pas tout vous déflorer, mais ça donne un éclairage unique sur un film qui ne l'est pas moins. Launois rejette un peu lâchement le ratage sur ses techniciens et l'un de ses acteurs, mais avoue par ailleurs sans langue de bois que sa principale préoccupation sur le tournage était d'obtenir rapidement 1h20 de film à vendre sans trop se soucier de la qualité du contenu, quitte à étirer certaines scènes ou filmer n'importe quoi sans autre raison que d'arriver à la durée règlementaire. Renaud quant à elle a apparemment senti que ses carottes étaient cuites dès la première projection et en a été mortifiée, mais arrive aujourd'hui à en rire et à s'amuser avec son mari du culte que les nanardeurs vouent au premier et dernier film de sa carrière d'actrice.
Il était une fois Devil Story donne également la parole à Frank Henenlotter,
réalisateur tordu de petits films mémorables comme Basket Case ou Sex Addict,
et visiblement admiratif de l'ambiance 100% portnawak d'Il était une fois le Diable.
Bref, même pour ceux qui ont déjà vu le film, le commentaire audio et le docu Il était une fois Devil Story justifient largement de mettre la main au porte-monnaie pour se procurer le DVD. Et pour les nanarophiles qui n'auraient encore jamais vu Il était une fois le Diable, c'est de l'or en barres. Je ne prétends pas que ça convertira les autres à l'amour du cinéma affligeant mais drôle, mais les fans peuvent se précipiter dessus à sa sortie le 12 septembre, et souhaiter longue vie à son éditeur Sheep Tapes. Ben oui, parce que maintenant, faut pas s'arrêter en si bon chemin les gars : on veut le même pour White Fire et La Guerre des espions ! On veut l'interview des doubleurs de Hitman le Cobra ! On veut savoir comment Dominique Paturel est passé de Dallas et L'Homme qui valait trois milliards aux coups d'fouet d'mes couilles sur ta gueule !