Je vous ai déjà parlé des catalogues VHS des années 80. On y trouvait des films qui ne passaient jamais à la télé, comme Les Seigneurs de la route, et qui du coup y gagnaient une sorte d'aura de mystère qui les rendait à la fois alléchants et suspects. Vous savez ce que c'est, quand on est minot, on est naïf. On se dit "ça a l'air cool mais si c'était vraiment bien, la télé le passerait sûrement, quand même !", et on grandit en se disant "un jour, je verrai ce film, mais bon, seulement si je le trouve à pas cher, faut pas déconner."
Le DVD des Guerriers de la nuit étant enfin à 5 €, j'ai pu assouvir ma curiosité près de 30 ans après en avoir appris l'existence. Je crois qu'il y a aussi un "Director's Cut", mais la version que j'ai vue (et dont vous voyez la jaquette ici) est celle d'origine). Tiré d'un roman lui-même vaguement inspiré d'un événement réel et d'un texte grec ancien, L'Anabase de Xénophon (si si, je vous jure), le film démarre sur un rassemblement dans le Bronx entre les représentants de centaines de bandes rivales en vue d'organiser une gigantesque alliance pour faire main basse sur la ville de New York. Cyrus, le chef du gang le plus puissant, les Riffs, entend mener des dizaines de milliers de jeunes dans une guerre contre la police et la mafia pour le contrôle des rues. Mais son rêve disparaît avec lui lorsqu'un membre des Rogues l'abat en plein discours, puis décide de faire porter le chapeau aux Warriors. Rapidement privés de leur chef Cleavon, les huit Warriors restants vont tenter de regagner leur territoire de Coney Island alors que tous les autres gangs veulent leur faire la peau.
La principale crainte lorsqu'on se met devant le film en connaissant son statut d'oeuvre-culte, c'est que ça ait beaucoup vieilli et que ça ne fonctionne plus vraiment aujourd'hui. Est-ce que Les Guerriers de la nuit a beaucoup vieilli ? Je suis tenté de dire que non, pas tant que ça. Je sais, je sais, il y a des types avec des coupes afro et des gilets en cuir sur des torses nus sur la jaquette, c'est pas un look très courant de nos jours. Mais je pense pas que c'était vraiment courant en 79 non plus en fait. Et à peu près tous les gangs du film arborent ce genre d'uniforme complètement improbable, cartoonesque. En plus donc des Warriors et de leur thème biker/far west, on trouve vraiment de tout et n'importe quoi. Il y a les Baseball Furies qui ressemblent à un croisement entre Marilyn Manson et les NY Mets. Les Riffs traînent en robes de chambre à la Hugh Hefner quand ils sont à leur QG. Y a même des mimes ! Un gang de mimes quand même, c'est pas le genre de truc dont on peut dire "en 2011 ça fait ringard mais en 1979 c'était classe, le film a vieilli".
Cela dit y a aussi des looks intemporels qui ont toujours la classe.
Et de quoi ils vivent au fait, tous ces gangs ? C'est un investissement quand même, des blousons en satin avec logo personnalisé brodé. Les Warriors ont pas trouvé leurs cuirs rouges dans des poubelles a priori. Ca aurait vraiment été un putain de hasard de tomber sur le jour où une boutique de prêt-à-porter se débarrasse d'une dizaine de gilets avec une tête de mort à plumes et "Warriors" écrit dans le dos, je pense. C'est plus vraisemblablement du sur mesure. Ca me paraît beaucoup si le fait d'être un Warrior signifie juste passer du temps entre copains pour s'amuser. Sauf qu'on ne sait jamais vraiment ce que font les gangs du film à part se promener dans les rues la nuit déguisés en loubards d'Orange Mécanique.
Etre un "Electric Eliminator" n'est pas forcément à la portée de toutes les bourses.
Est-ce qu'ils trafiquent de la drogue ? Braquent des banques ? Exploitent des prostituées ? Cambriolent des musées ? On a vraiment l'impression qu'être un Warrior (ou un Baseball Fury, ou un Turnbull AC) est une activité à plein temps mais qui consiste à ne rien faire de spécial, à part de temps en temps effrayer un passant (mais très peu de figurants dans le film ne sont ni flics ni membres d'un gang) ou se fritter avec d'autres gangs. Bon, à un moment donné le chef des Rogues refuse de payer des sucreries à la petite tenancière d'un kiosque à journaux, mais c'est à peu près tout. Bref, tout ce petit monde de la nuit qui ne paraît pas tout à fait plausible et là non plus je ne sais pas si on peut simplement dire "le film a vieilli mais à la base c'est pas sa faute si les choses ont changé en 30 ans". Je suis pas historien du crime mais je suis à peu près sûr qu'en 79 la délinquance existait déjà à New York et que ça ne se limitait pas à être grossier avec les filles et à voler des chewing gums. Mais bon je me trompe peut-être.
Peut-être que les mimes vivent des pièces que leur jettent les passants
pendant leurs numéros, mais les autres ?
Tout ça pour dire que ce qui peut donner à penser que le film a vieilli, c'est qu'aujourd'hui personne n'oserait ce genre de représentation un peu fantasmagorique ou naïve du monde des gangs tout en gardant un ton totalement exempt d'ironie. Votre appréciation du film risque de dépendre grandement de votre capacité à vous enchanter devant ses aspects outranciers, la façon dont cet univers est filmé et joué avec un sérieux absolu malgré son côté finalement assez puéril et gentiment invraisemblable. Parce que malheureusement, en dehors de ses bandes de zazous hauts-en-couleurs et de son côté "crado et brut comme on n'en fait plus, ma bonne dame", Les Guerriers de la nuit n'est quand même pas un excellent film, il faut avouer.
Mais bon, c'est vrai que c'est pas tous les jours qu'on voit des Baseball Furies.
Ca démarre de façon vraiment prometteuse, pourtant. La musique, le décor, l'ambiance, les personnages, la situation, les bases sont là pour ce qui pourrait faire un excellent thriller. 8 types devant traverser une jungle urbaine dont on nous a annoncé au début qu'elle abritait 20.000 policiers et 60.000 "guerriers de la nuit", et qui sont TOUS ligués contre ces pauvres Warriors, accusés à tort d'un crime qu'ils n'ont pas commis. 8 jeunes sauvages acharnés à survivre malgré cette adversité insurmontable mais qui préféreraient mourir plutôt que renoncer à leur honneur de fiers guerriers apaches. Sauf que, passé le premier acte, la présentation des gangs, le discours du charismatique Cyrus, une scène de foule et de chaos d'autant plus impressionnante qu'elle date d'une époque où on ne pouvait pas simplement dupliquer à l'infini trois figurants sur un écran d'ordinateur, la chasse à l'homme qui suit se révèle décevante. Il y a quelques belles bagarres, quelques bonnes idées, comme la DJette qui envoie des messages codés aux gangs àa la radio ou un passage qui, pour renforcer l'aspect "épopée mythologique" de l'histoire, amène les Warriors dans un piège tendu par de viles "sirènes", mais dans l'ensemble les péripéties ne sont pas très intéressantes, les scènes d'action ne sont pas exceptionnelles, et les rebondissements qu'on pourrait croire importants comme la capture ou la mort d'un personnage sont systématiquement traités comme des non-événements tout de suite oubliés.
De nombreux éléments, comme la mystérieuse bouche qui informe les gangs pour le compte des Riffs,
sont là pour donner au film une personnalité unique et un charme indéniable,
mais on peut dire que l'ensemble vaut moins que la somme de ses parties.
Comme tous les films tournés il y a entre 5 et 40 ans et dont le nom est encore un peu connu aujourd'hui, Les Guerriers de la nuit va évidemment avoir droit à son remake. Et je dois dire que pour une fois, je ne suis pas contre l'idée. Enfin, en théorie en tout cas. En pratique il y a peu de chance que ce soit autre chose qu'une merde, un simili-hommage au second degré ou une tentative idiote de modernisation. Mais en théorie, il y a un meilleur film que ça à faire sur l'histoire des Warriors qui traversent un Bronx quasi-post-apocalyptique où tout le monde veut leur peau, sur cette histoire de guerriers sauvages mais honorables, sur leur esprit "vivre libre ou mourir".
Avec la chance qu'on a, ce genre de scène se retrouvera filmée avec une caméra tremblotante
et ne montrera que des gros plans d'une demi-seconde de la calandre du bus et des pieds des Warriors...
...et Cyrus sera joué par Samuel L. Jackson alors que c'est clair qu'il faudrait The Rock.
Pour un film que j'ai attendu de voir pendant quasiment trente ans, je ne vous cacherai pas que c'est une déception, donc. C'est pas mauvais, mais ça n'est pas très bon. Ca part bien puis ça se transforme en pétard mouillé. Je ne sais pas, c'est un peu comme voir pour la première fois à poil une actrice qui vous faisait fantasmer à fond quand vous aviez 15 ans, et découvrir qu'elle n'est finalement pas si bien foutue que ça : ça n'est quand même pas désagréable à voir, on est content d'avoir satisfait sa curiosité, mais le sentiment qui prédomine reste "Toute cette attente pour seulement ça ?" Enfin, vous voyez le genre. Bref, Les Guerriers de la nuit reste un film qui a du caractère et vaut d'être vu, surtout à 5€ le DVD, mais méfiez-vous de ce que pourraient vous dire des gens qui ne l'ont plus revu depuis les années 80 et en gardent le souvenir d'un truc génial, vous risqueriez une bonne petite déconvenue.