
Lors de ses précédentes aventures, notre copain le Roi scorpion s'était pas mal éloigné de ses racines, conquérant la Thaïlande puis la Roumanie avant de les abandonner aussi sec. Pour ce cinquième épisode, il revient aux sources, et on pourrait même croire que les producteurs et scénaristes sont prêts à boucler sa boucle. Le prologue raconte en effet à peu près la même chose que celui du Retour de la Momie, l'histoire d'un guerrier qui veut devenir roi du monde, et en vient à vendre son âme au dieu égyptien Anubis en échange de son aide dans cette entreprise. Sauf que ce n'est pas Mathayus, c'est un autre mec, et ce coup-ci l'armée prêtée par Anubis n'a de "guerriers-chacals" que le nom, parce que la production n'a pas les moyens de se payer des effets spéciaux au niveau de ceux d'un film d'il y a près de 20 ans. Et il y a une épée magique, forgée "dans les flammes de l'Enfer" (la mythologie égyptienne étant, comme toutes les autres à Hollywood, un brouillon du christianisme à la sauce heroic fantasy, il y a toujours un enfer avec des flammes chez tout le monde), qui s'appelle le Croc d'Anubis et qui emprisonne l'âme de ses victimes et de son utilisateur dans le Livre des âmes. Son premier possesseur finit par aller bouffer les adenia par la racine, mais un certain Nebserek pille sa tombe et commence à asservir le monde à son tour à coups de Croc.
Comme en plus du Croc, le monsieur a une dent contre les Akkadiens, il fait une pause dans sa quête le temps de traquer et éliminer leur dernier représentant, le Roi scorpion. Alors, va-t-on assister à une guerre entre deux conquérants et voir Mathayus se laisser gagner par la soif de pouvoir qui le conduira à devenir un monstre ? Eh bien non, encore raté. Notre héros a, une fois de plus, renoncé sans véritable explication au trône gagné lors de l'épisode précédent. Sous les traits d'un quatrième acteur, le voilà désormais forgeron anonyme le temps d'une scène qu'on pourra charitablement qualifier d'hommage à Conan le barbare plutôt que de vulgaire plagiat, où il explique à un petit garçon que dans la vie, on ne peut faire confiance à rien d'autre qu'au métal qu'on forge. Et cette fois, il ne veut plus d'aventures, plus de batailles, plus de richesses, autant dire que c'est encore plus mal barré que d'habitude pour trouver une façon plausible, en moins de 90 minutes, de faire du personnage le streum qui cherchera des noises à Brendan Fraser 5000 ans plus tard.

Cette énième aventure n'a rien de vraiment inédit à proposer
mais elle ressemble un peu moins à un téléfilm bas-de-gamme pour enfants que la précédente.
Mathayus est néanmoins contraint de reprendre le sentier de la guerre parce que sans ça y a pas de film, et croise bientôt la route d'une Xéna nubienne qui n'est autre que la fille du personnage joué par Michael Clarke Duncan dans le film avec The Rock. Entre ces invocations du passé cinématographique du héros et l'air grave et fatigué qu'il affiche tout au long du film pour montrer qu'il est usé par les drames subis entre les épisodes, je me suis brièvement remis à croire qu'on était face à la conclusion de ses aventures, ou au moins à un tournant, mais la suite tend à montrer que c'est plutôt le manque d'imagination qui a amené les auteurs à piocher dans ce qui existait déjà et à transformer leur héros en Jon Snow. Au passage, je dois avouer avoir été surpris de constater que la page imdb de l'acteur qui remplace Victor Webster dans le rôle-titre comportait de vrais rôles et pas simplement "Biker #2", "Homme de main #4" et "Garde du corps (non crédité)" dans des DTV sur le freefight. Zach McGowan a indéniablement un physique de barbare, mais pas vraiment la présence d'une tête d'affiche de cinéma d'aventures. Les contours du personnage sont suffisamment flous depuis le début pour ne pas s'offusquer d'une quelconque "trahison" mais cette interprétation toute en regards de chien battu et en c'est-bien-la-dernière-fois-que-je-prends-les-armes-mais-arrêtez-de-dire-que-je-suis-un-roi-scorpion n'est pas vraiment la plus intéressante.

Zach McGowan évoque moins The Rock que le genre d'acteur que
les gens de Game of Thrones remplacent au bout d'une saison
quand ils décident de donner plus d'importance à son personnage.
Cela dit, les changements par rapport à l'épisode précédent ne sont pas tous malvenus : l'humour niais est fort heureusement cantonné à quelques interventions du faire-valoir comique, et le réalisateur a la sagesse de limiter son usage des effets spéciaux à des éléments à la portée de son petit budget. Là-dessus, il y a du progrès par rapport à la laborieuse Quête du pouvoir avec son crétinisme généralisé et ses tentatives dérisoires de faire voler ses personnages. Ajoutons que ce coup-ci, il n'y a pas de pub mensongère, les trois noms sur la jaquette sont bien ceux des trois acteurs principaux. Mais en même temps ça veut dire aussi qu'il n'y a pas du tout de guest star du calibre d'un Billy Zane ou d'un Ron Perlman pour pimenter un peu le casting et donner un peu plus de cachet au produit, ce qui est assez regrettable, même si les seconds rôles ne sont pas foncièrement mauvais.

Un second rôle pas foncièrement mauvais.
Pour le reste, le film se contente de la formule habituelle, le groupe de héros comprenant obligatoirement un gros benêt et une jeune femme à la garde-robe issue de la collection "mille et une nuits" d'un catalogue pour strip-teaseuses se livre aux péripéties habituelles, décryptages d'indices, découverte d'éléments magiques, escarmouches à l'arme blanche, etc. Il y a quelques batailles un peu plus satisfaisantes que ce qu'on a pu voir dans le 4, quelques décors un peu inédits, mais dans l'ensemble ça manque assez cruellement de saveur. Les personnages sont sous-développés, les lieux communs abondent. Parfois ça passe, parce que le vieux coup des guerriers qui en viennent à se respecter après un affrontement honorable est un classique indémodable du cinéma avec du poil sous les bras et qu'à un moment donné si vous n'appréciez pas un minimum ce genre de chose c'est même pas la peine de regarder un truc qui s'appelle Le Roi Scorpion. Mais parfois c'est du recopiage débile de clichés qui, dans le contexte, n'ont aucun sens. "Rends-toi, tu es seul contre tous !", dit un sbire du roi à notre héros, qui lui fait alors remarquer qu'il n'est pas seul, il a une guerrière à ses côtés, déclenchant l'hilarité des méchants. "Mais oui, c'est ça, une femme !", ironise grassement le fâcheux, parce que le scénariste a vu ça dans d'autres films et s'est dit que montrer le personnage comme un abruti sexiste le rendrait encore plus détestable au public. Sauf qu'ici l'abruti en question est lui-même le bras droit d'une tueuse féroce donc il sait très bien qu'il vit dans un monde avec des guerrières donc cet échange est complètement absurde, c'est du pur "les méchants de film ils disent des trucs comme ça, si je le place ici ça fera comme dans les vrais films".

Heureusement les clichés ne sont pas tous à jeter
mais le film ne brille clairement pas par sa créativité.
Il a fallu creuser un peu pour trouver, parce que sur IMDB il n'y avait pas grand chose, mais j'ai vu que le scénario avait été pondu par un marchand de chaussures et un flic (je vous jure c'est vrai) qui un jour ont miraculeusement gagné un prix d'écriture censé lancer leur carrière à Hollywood. C'est bien de poursuivre ses rêves mais ça ne donne pas automatiquement la compétence nécessaire et, de fait, Le Livre des Âmes est leur seule oeuvre produite, par un studio qui a déjà prouvé qu'il n'était pas très regardant sur la qualité de l'écriture tant qu'on peut caser "roi scorpion" dans le titre. Cet épisode peut-être final reste regardable, le passage de "grossièrement niais" à "paresseusement insipide" le rend un poil meilleur que le précédent, et si la série s'arrête vraiment là c'est une façon un peu décevante de conclure (accessoirement, la fin du film créée une espèce de paradoxe temporel par rapport au Retour de la Momie), mais en même temps, tant que personne ne voudra se donner la peine de se sortir un peu plus les doigts, c'est peut-être pas la peine de produire un sixième film.
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Le Roi Scorpion - Le Livre des âmes (Scorpion King; Book of Souls, 2018), réalisé par Don Michael Paul (Un Flic à la maternelle 2) sur un scénario de David Alton Hedges et Frank DeJohn. Avec Zach McGowan (Death Race Anarchy), Pearl Thusi (Tremors 5 : Bloodlines), Peter Mensah (300), Katy Saunders (Medieval Pie : Territoires vierges), Mayling Ng (Wonder Woman), Nathan Jones (Mad Max : Fury Road).