L'inspection de la fiche technique de Tekken 2 permet d'abandonner tout espoir futile avant le visionnage : le film est signé "Wych Kaos", le nouveau pseudonyme de l'ex-"Kaos", réalisateur de Ballistic, et Steven Paul, scénariste des P'tits génies et producteur de Ghost Rider et Doomsday. Au moins avec ça on ne risque pas de fausse joie à la "ah cool, les mecs qui ont fait John Wick ont bossé sur Hitman: Agent 47, peut-être que ce sera pas si mal". On sait d'emblée qu'on ne sera pas déçu : une adaptation de jeu vidéo par un type qui est entré dans le cinéma parce que papa avait des relations, écrit et produit par un agent hollywoodien qui fait bosser ses propres clients dans des merdes tournées par sa boîte de prod, il n'y a aucune chance pour que ce soit autre chose qu'un désastre. Restait à voir si le résultat serait catastrophique au point d'être drôle, ou simplement d'une nullité à crever d'ennui.
Le premier Tekken tentait maladroitement d'adapter quelques éléments emblématiques de la série de jeux de baston qui ont fait les beaux jours des différentes Playstation depuis plus de 20 ans : un monde futuriste, dont le contrôle se joue lors d'un tournoi d'arts martiaux qui réunit agents secrets, justiciers et criminels dans le but, pour l'organisateur, de pouvoir écraser toute personne susceptible de menacer sa suprématie. Le début de cette suite, sous-titrée Kazuya's Revenge à l'écran mais pas sur la jaquette, évoque ça brièvement et vaguement, avant d'enchaîner sur un film qui n'a aucun rapport avec Tekken si ce n'est qu'il y a de la bagarre. On suit un amnésique capturé par la version anglaise d'Aubrey Plaza et recruté de force par un vieux prêcheur slave qui se présente comme un bienfaiteur et l'enrôle dans une guerre qu'il mène dans les bidonvilles. L'amnésique se voit assigner différentes cibles censées être d'horribles criminels, mais finit par découvrir que le prêcheur est en réalité un gangster qui l'utilise pour se débarrasser de ceux qui gênent ses magouilles. C'est alors qu'on n'est plus qu'à quelques minutes de la fin et qu'il faut bien rattacher ça à Tekken alors notre héros comprend qu'il n'est autre que Kazuya Mishima, un des méchants de Tekken. Il décide donc de péter la gueule à son père Heihachi Mishima, un autre méchant de Tekken, mais comme Cary-Hiroyuki Tagawa a tourné ses scènes séparément, c'est pas possible, et donc il se rabat sur deux hommes de main et c'est la fin du film.
Attention, si vous clignez des yeux à ce moment-là, vous raterez
la seule preuve (en dehors de l'écran de titre) que vous êtes bien devant un Tekken.
Tekken 2 parvient donc quand même à surprendre à défaut de décevoir, puisque je ne m'attendais pas à un pareil foutage de gueule. C'est clairement basé sur un scénario sans aucun rapport avec Tekken et qui allait partir à la poubelle après avoir été refusé par Tony Jaa, et puis en faisant le ménage dans ses tiroirs le producteur s'est dit "non attends je sais, Tony Jaa c'est pas le seul chinois à faire du karaté, et j'ai encore les droits ciné de Tekken, c'est un truc de chinois ça Tekken, allez hop voilà j'ai qu'à embaucher un autre chinois et produire ça sous le titre Tekken 2 : la vengeance de John Tekken, et je le fourgue sans problème". L'intrigue principale est cousue de fil blanc et reste complètement inintéressante même une fois qu'on a accepté l'idée qu'on est devant ce qui aurait probablement pu s'appeler Assassin Fighter : le Combat du Dragon et pas une adaptation de Tekken, et de toutes façons rien de ce qui meuble la première heure du film n'a plus aucune importance une fois qu'interviennent les deux acteurs rescapés de l'épisode précédent, Cary-Hiroyuki Tagawa et Gary Daniels.
Une belle galerie de quatre personnages (si si regardez bien à droite,
il y a la main d'une troisième fille) librement pas du tout inspirés de la saga Tekken.
Alors, à propos de Gary Daniels, il reprend son rôle de Bryan Fury au sens où son personnage s'appelle à nouveau Bryan Fury, mais cette fois ce n'est plus un cyborg et plus un méchant. Et pour vous dire à quel point tout ça est très bien écrit, dans sa première scène il se bat avec le héros, qui lui demande qui il est, et il refuse de répondre, sauf que dès le lendemain il recontacte le mec en piratant son ordi et là Kazuya reconnaît immédiatement sa voix et s'exclame "Fury !" alors que le mec avait refusé de lui dire son nom. Et là Gary Daniels répond "Je suis flatté que tu te souviennes de mon nom", t'sais le nom qu'il a refusé de lui donner la veille au soir et que Kazuya a appris par magie entretemps. Et après il lui explique qu'en fait ils sont dans le même camp, et lui dit, je cite, "Fais-moi confiance : je suis ton seul ami. Et je ne suis pas ton ami", je sais pas si tu te rends compte de la profondeur et de la portée philosophique de cette réplique. Après ça il a encore une scène qui sert à rien et ensuite il disparaît sans explication parce que son rôle à lui aussi a été mis en boîte en marge du tournage principal.
Brian Fury vient dévoiler un secret si important
qu'on ne prend jamais la peine de nous dire de quoi il s'agissait.
Pour ne pas être en reste, la réalisation fait gentiment pitié. Spécialiste du plan absurde et du cadrage foireux, Wych Kaosayananda filme n'importe quoi n'importe comment. Par exemple pour les bastons, par moments il place sa caméra de façon à ce que les combattants soient cachés par le décor, comme ici :
A d'autres il se dit que ce serait trop stylé de les filmer à contrejour pour que leurs silhouettes se détachent trop bien à la lumière, sauf qu'en fait le résultat est tout flou :
J'ai apprécié aussi le moment où le héros soigne son épaule blessée, qu'il fixe intensément du regard mais que la caméra n'arrive pas à choper (alors qu'elle accorde les deux tiers de l'image au mur de sa chambre) :
Ou encore une révélation choc qui est mise en scène comme ça :
Vous avez entendu parler de ce style de jeu vidéo à la mode chez les amateurs de jeux "indépendants" depuis quelques années qu'on surnomme le "simulateur de marche" ? Eh bien, on pourrait croire que Tekken 2 est adapté d'un simulateur de marche plutôt que d'un jeu de combat un-contre-un tant le mec adore montrer ses protagonistes en train de marcher d'un endroit à un autre. Il faut dire que ça permet de meubler facilement quand tu n'as pas assez de matériau pour un long métrage. On a donc plusieurs longues scènes de marche qu'il combine avec des ralentis, des flashbacks et des images d'autres films pour allonger la sauce. Parfois le héros, comme Jean-Jacques Goldman, marche seul :
Parfois il marche avec sa pote :
Et parfois il marche pendant tellement longtemps que j'ai été obligé d'accélérer le gif animé pour que ça tienne (et si ça n'a pas l'air accéléré tout le temps c'est parce que le mec adore vraiment les ralentis) :
Vous noterez au passage le charisme IMPRESSIONNANT de Kane Kosugi (le fils de Sho Kosugi, la star de la "trilogie du Ninja" de la Cannon). Enfin, je taquine, mais je reconnais qu'il se débrouille bien dans les scènes de tatane, et qu'elles ne sont pas toute filmées en dépit du bon sens, mais même les meilleures ont toujours des moments un peu... comment dire... un peu comme ça :
Le très léger changement d'angle de caméra avant que le mec se relève, là... Est-ce que ce brillant réalisateur comptait tout filmer en une prise, et que du coup il n'a jamais fait mettre de marques au sol pour retrouver où se placer au cas où il faudrait en refaire une ? Ou bien est-ce qu'il s'est dit "ça sera drôlement plus dynamique si pour la dernière demi-seconde de roulade arrière, quand il se relève, je me déplace de trente degrés" ? Ou bien c'est pour cacher que Kane Kosugi, un mec qui sait faire des doubles-coups-de-pieds-sautés, ne sait pas bien faire la roulade arrière ?
Une scène de sexe particulièrement excitante pour les fétichistes du coude.
Ce que j'essaie de vous dire depuis le début, les amis, c'est que c'est très mauvais. Evidemment, ce coup-ci, le réalisateur n'avait pas 70 millions de dollars et des stars à sa disposition, mais justement, quand on voit à quel point le mec est incompétent, on se demande vraiment comment, il y a 15 ans, il s'est retrouvé aux commandes d'une grosse production hollywoodienne alors qu'il paraît capable de foirer la vidéo du spectacle de fin d'année d'une école primaire. Le premier Tekken était pas fameux mais au moins, c'était un vrai film. Là, c'est plus un sujet d'étude nanarologique, encore que ça ne se soit pas spécialement marrant à voir. A mon âge je peux plus vraiment me permettre de gâcher 80 minutes de vie devant quelque chose comme ça.
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Tekken 2 (Tekken 2: Kazuya's Revenge, 2014) "réalisé" par Wych Kaos (Ballistic) sur un "scénario" de Nicole Jones (Dracula: Prince of Darkness) et Steven Paul (Stargrove et Danja, agents exécutifs). Avec Kane Kosugi (DOA: Dead or Alive), Kelly Wenham (Dead Set), Rade Serbedzija (Taken 2), Paige Lindquist, Cary-Hiroyuki Tagawa (Mortal Kombat), Gary Daniels (Expendables : Unité spéciale).