Fêtons dignement la rentrée des classes avec un film pour les enfants, un mauvais bien sûr, pour qu'ils comprennent bien que la fête est finie. Sa suite est encore en salles, et ce premier épisode est vendu 5€ en supermarchés, mais vous pouvez aussi l'obtenir gratuitement avec un menu enfant auprès d'une célèbre chaîne de restauration rapide.
Le film est moins une adaptation des BDs de Peyo qu'une espèce de remake déguisé d'Alvin et les Chipmunks (et probablement de Garfield, le film, mais je ne l'ai pas vu). Apparemment, en eux-mêmes les personnages et leur univers ne sont pas assez vendeurs aux yeux des producteurs de chez Sony, même si ça fait cinquante ans qu'ils rapportent des millions dans le monde entier, et pour les rendre vraiment commercialisables, il fallait absolument les confronter à une grande ville américaine moderne et aux déboires professionnel d'un trentenaire carriériste qui a oublié les vraies priorités de sa vie. Pour se donner bonne conscience, ça démarre quand même au pays des schtroumpfs, le méchant sorcier Gargamel attaque leur village, mais tout cela n'est évidemment qu'un prétexte pour expédier les personnages dans le New York d'aujourd'hui, par le biais d'un vortex qui aspire Gargamel, son chat Azraël et une poignée de schtroumpfs lors d'une course-poursuite. Le Grand Schtroumpf et quelques autres trouvent refuge chez Patrick, un publicitaire à la veille d'une importante présentation (je vous laisse deviner si les schtroumpfs gâchent tout mais l'amènent du même coup à comprendre qu'il y a des choses plus importantes que le boulot), et cherchent un moyen de rentrer à leur époque, tandis que leur ennemi juré reste obsédé par l'idée de les capturer pour en extraire la précieuse "essence de schtroumpf" nécessaire à sa magie.
S'il fallait résumer tout le film en une seule image, ce serait probablement celle-là.
Le problème du cinéma à gros budget, c'est qu'il doit essayer de plaire à tout le monde pour espérer rembourser les fortunes qu'il coûte. On ne peut pas claquer 100 millions dans un film pour petits enfans et viser uniquement les petits enfants. Alors évidemment vous avez des producteurs qui se sortent un peu les doigts du cul pour essayer de faire des films de bonne qualité avec des histoires et des personnages susceptibles d'intéresser des spectateurs de différents âges. Mais c'est compliqué tout ça, alors vous avez aussi des producteurs qui se contentent d'acheter les droits d'utilisation d'un personnage connu pour en faire le fil conducteur d'un assemblage de séquences qui réuniront des éléments censés séduire séparément différentes catégories de spectateurs. Un peu pour la petite soeur, un peu pour le grand frère, un peu pour maman et papa... Mais cette façon de ratisser large n'est pas spécialement efficace, en fait c'est même un moyen assez sûr de ne contenter personne. Histoire de pas toujours faire des comparaisons culinaires, prenons le monde de la musique : quand quelqu'un organise un festival de rap, il invite des groupes de rap, il recrute pas Michel Torr et Daniel Guichard en espérant faire plaisir aux parents venus accompagner leurs gosses fans de Sexion d'assaut, parce qu'il sait bien que ni les enfants ni les adultes n'ont vraiment envie de voir Adamo partager la scène avec Booba. Ben au cinéma c'est un peu pareil, quand on fait un film sur les schtroumpfs, ça sert à rien de mettre AC/DC sur la bande originale.
Les sponsors du film ne sont vraiment pas du tout envahissants,
on n'a pas du tout l'impression que le passage au centre commercial
est une coupure pub plutôt qu'une vraie scène du film.
Vous aurez compris que Les Schtroumpfs a choisi la seconde voie, et on y voit donc les petits hommes bleus partir à l'attaque au son de Back in Black, ce qui fait plus pitié que plaisir. On y voit aussi des gags bébêtes et inoffensifs pour tout-petits (la plupart du temps, des variations sur "le schtroumpf maladroit fait tout tomber !"), des gags pipi-caca-zizi pour les un peu plus grands (Azraël qui se lèche les couilles, la classe), les schtroumpfs qui font du rap (évidemment) en reprenant Aerosmith (parce que les auteurs sont encore moins en phase avec la jeunesse que moi), et une vague intrigue secondaire de comédie romantique (Patrick perdra-t-il sa femme et leur futur enfant au profit de son travail ?) en os à ronger pour les adultes. Tout est tellement dépourvu d'âme et de saveur que ça a probablement été écrit par un robot. Il y a pourtant un paquet de scénaristes crédités au générique, mais je pense qu'il s'agit des programmeurs chargés d'entrer les données dans la machine, un par tranche d'âge, et peu importe si le résultat était insipide et incohérent tant qu'il mélange tout ce que le service marketing a calculé qu'il fallait mettre dans le film.
Très au fait des dernières tendances trop cool de 1991, le réalisateur Raja Gosnell
nous gratifie d'un rap schtroumpf sur Walk This Way.
Un moment assez représentatif de cet assemblage décérébré de n'importe quoi est la séquence où Gargamel utilise la magie schtroumpf pour rajeunir la mère de la patronne de Patrick. Impressionnée, elle lui propose de vendre son "produit", vu qu'elle bosse dans les cosmétiques. Ils dînent ensemble pour en parler, et on suppose que tout ça est la caution "adulte" du film, un truc mollement moqueur et convenu sur l'obsession de l'apparence et l'absence de scrupules du monde des affaires, histoire de dire "voyez, les parents, on a pensé à vous, ça n'est pas qu'une couillonnade pour les moins de six ans". Mais les blagues de la scène sont du genre "Azraël fait dégringoler les plats sur la table" et "Gargamel pisse dans le seau à champagne", parce qu'il faut quand même faire rigoler les petits, et à la fin de la scène, toute cette mini-intrigue secondaire passe définitivement à la trappe. Franchement, vous voulez me dire que ce sont des vraies gens qui ont écrit ça ? Que les mecs se sont réunis autour d'une table et se sont dit "tiens, on va ajouter 5 minutes là qui auront aucune incidence sur l'histoire et pendant lesquelles Gargamel va pisser dans un grand restaurant parce que les mômes raffolent de ça, et qui plaira aux grandes personnes parce que, tu vois, l'industrie des cosmétiques c'est pas bien, tout ça" ? C'est pas possible. C'est un robot qui a pondu ça à partir des consignes "gag sur des objets qui se renversent, pour les 0-6", "gag sur les fluides corporels, pour les 6-12" et "cliché de comédie bidon du genre que les acteurs de sitcom utilisent pour lancer leur carrière au cinéma, pour les adultes".
L'âme de Neil Patrick Harris semble mourir un peu plus à chaque scène...
...Hank Azaria en fait des caisses pour se convaincre qu'il s'amuse...
...et les bonshommes bleus eux-mêmes sont horrifiés d'être dans une pareille galère.
Alors nous en tant qu'humains évidemment ça ne peut pas nous divertir. Même pas les enfants, je vous assure. Je sais bien que ça aime les conneries les mouflets mais y a des limites. Les Schtroumpfs, c'est vraiment le genre de film qui amène à penser des trucs comme "bon ok Alvin et les Chipmunks c'était de la merde, mais pas à ce point", c'est vous dire. Y a pourtant plein de défauts similaires dans les deux, mais celui-ci est encore plus con et mal foutu, et gâche des personnages et des acteurs plus intéressants. Il ne parvient même pas à incorporer correctement un élément de base du film pour enfants : une morale gentillette à inculquer aux jeunes spectateurs. Si hypocrite que soit le film des tamias chanteurs, au moins, il se donnait la peine de faire passer des petits messages : les gens qu'on aiment sont plus importants que le boulot, l'art vaut mieux que l'argent facile. Celui-ci aimerait bien en faire autant mais se vautre comme une merde à l'arrivée. Que vous soyez nostalgique ou parent ou les deux, il faut vraiment pas vous infliger ça. Ressortez les albums de BDs, trouvez le dessin animé en DVD, dénichez un meilleur film familial, comme vous voulez, mais épargnez-vous cette catastrophe.