J'ai déjà chroniqué deux fois du Chuck ici, mais jamais rien de Steven Seagal. Alors, en hommage au fait que W9 ait eu la riche idée d'importer en France Steven Seagal au service de la loi, son émission de télé-mythoréalité, je me suis dit qu'il était temps de corriger cette erreur. Et autant commencer par le commencement, avec son tout premier film, Nico, réalisé en 1988 par Andrew Davis, qui signerait plus tard Piège en haute mer avec la même vedette et surtout Le Fugitif avec Harrion Ford. D'après la rumeur, le producteur du film avait parié avec un pote qu'il pouvait transformer n'importe qui en star de cinéma, et il a choisi son prof d'aïkido pour le premier rôle d'un film d'action alors qu'il n'avait absolument aucune expérience d'acteur. Bon, c'est pas sympa pour Seagal comme légende, mais ça a le mérite de nous rappeler une chose : Schwarzenegger et Stallone ont débuté dans des petites productions obscures, Chuck Norris et Jean-Claude Van Damme ont démarré dans des seconds rôles, mais Seagal, lui, a été tête d'affiche dès le début dans un film Warner Bros. Eeeeh ouais, c'est quand même pas rien, ça, les gars.
Ca commence dans les années 70, alors que notre héros, Nico Toscani, est recruté par la CIA grâce à sa maîtrise impressionnante de l'aïkido. Il est ensuite envoyé au Vietnam, mais démissionne en pleine action alors qu'il refuse de participer à une opération secrète qu'il juge moralement indéfendable. Une ellipse plus tard et on se retrouve 15 ans après, alors que Nico qui n'a absolument pas vieilli (exactement comme Lou Ferrigno dans Cage !) est devenu flic à Chicago et fait baptiser son premier enfant. Pas question pour autant de jouir d'une vie tranquille de brave père de famille car le crime ne prend pas de congé parental. Ce qui n'est hélas pas le slogan de la jaquette, et pourtant je trouve ça pas mal, moi : "Le crime ne prend pas de congé parental". Mais bon il faut se contenter de "Pour ce flic, personne n'est au-dessus de la loi", manière d'évoquer le titre original du film, Above the Law.
Seagal entame sa carrière cinématographique dans son élément naturel,
en administrant une leçon d'aïkido en japonais.
Nico se retrouve aux prises avec des trafiquants, mais pas de banals trafiquants de drogue : c'est un chargement de plastic qu'il intercepte. Y aurait-il des terroristes en ville, préparant un gros coup ? Et quel individu ou organisme, ayant suffisamment de pouvoir pour forcer le FBI à relâcher les suspects, est derrière tout ça ? Nico, qui n'aime pas trop qu'on vienne poser des explosifs dans sa ville et surtout pas quand ça pète jusque dans l'église qu'il fréquente, va mener l'enquête envers et contre tous pour élucider ces mystères.
Très respecté des Japonais, Steven-san a une amie asiatique trop forte
en informatique et un sponsor très très subtil.
Aujourd'hui, quand on voit Steven Seagal, on voit un gros monsieur fatigué, en route vers l'obésité à petits pas poussifs, qui se fait remplacer par un cascadeur pour la moindre scène d'action dans des Direct-to-Video tournés pour une misère en Roumanie et fait le malin dans la fameuse émission de télé susmentionnée où son rôle se limite à répéter cinquante fois par épisode qu'il a pratiqué les arts martiaux toute sa vie et à brailler des choses menaçantes à des suspects déjà maîtrisés par de vrais flics. Du coup c'est dur d'imaginer qu'il a été jeune, mince, vif, et attraction principale de séries B pas trop mal torchées. Et pourtant il faut bien reconnaître que, sans être un chef-d'oeuvre, Nico surprend agréablement et se révèle plutôt sympathique.
Même sous la torture, Steven l'invincible refuse catégoriquement de faire l'acteur.
Mais finalement, son air imperturbable contribue à forger le coté dur à cuire de son personnage.
Alors c'est vrai que le Seagal montre déjà toute l'étendue de son non-jeu d'acteur, c'est-à-dire que les seules fois où son visage quasi-immobile exprime une émotion, c'est dans les quelques moments où il a l'air d'être vraiment énervé, au point que c'en est presque flippant d'ailleurs, on se dit que le type qu'il est en train de défoncer à l'écran l'a vraiment agacé sur le tournage et qu'il va vraiment lui exploser la tête. Le reste du temps, il se promène de scène en scène avec un air impassible, une démarche guindée, et on dirait le genre de gars qu'on embaucherait aujourd'hui pour jouer un réceptionniste homo ou un directeur de galerie d'art, et il joue super mal la plupart de ses répliques. Quand ça castagne par contre, là il sait ce qu'il fait, et comme il pratique une forme de combat qu'on ne voit pas si souvent que ça au cinéma, c'est assez original. C'est chouette l'aïkido, des gestes secs, précis, et cette histoire d'utiliser la force de l'adversaire pour le mettre minable, c'est pas des conneries hein, c'est vraiment ça, il donne pas dans la tatane le Seagal, il attend qu'on l'attaque et avec une rapide combinaison de blocages, clés et manchettes, il éclate tout le monde avec classe et décontraction. Bon c'est sûr que pour apprécier, faut aimer les films de baston à la base, mais pour les amateurs, quand il était au top de sa forme il avait un bon style, le castagneur bouddhiste.
Notre maigrichon héros assure moins au sabre qu'à mains nues,
mais au moins il faisait encore ses cascades lui-même à l'époque.
Autour de Seagal, les seconds rôles ne sont à vrai dire pas super bons acteurs non plus. Mais y a des têtes connues. Si vous pensiez par exemple que le père Tarantino a été incroyablement audacieux et original en allant la piocher directement au fin fond des années 70, vous constaterez qu'en fait Pam Grier n'a pas eu besoin de lui pour se trouver du boulot dans les années 80. Il y a aussi Sharon Stone dans le rôle tout à fait mineur et quasi muet de la femme de Nico. C'est marrant de se dire qu'avant de montrer sa chatte dans Basic Instinct, Sharon Stone c'était simplement la petite blondinette pas trop chère qu'on embauchait pour faire le sous-faire-valoir féminin dans des productions pas spécialement prestigieuses. Voilà quelqu'un qui a maintenant un statut indéboulonnable d'icône glamour du 7ème Art alors qu'elle n'a joué que dans très peu de bons films. Mais apparemment, avoir montré sa chatte la dédouane de tous les Catwoman possibles, tandis que le pauvre Seagal, lui, tout le monde se fout de sa gueule.
Eh ouais, même Pam Grier a été une femme des années 80
avec épaulettes géantes intégrées.
Le scénario est banal, mais ça n'est pas gravissime, ça va à l'essentiel et laisse la part belle aux démonstrations de force du personnage central. Avec un réalisateur sans génie mais compétent aux commandes, ça donne un petit polar tout à fait regardable, à condition de ne pas être réfractaire à ce genre de produit typique de son époque, c'est-à-dire un film d'action pur et dur, bas-du-front mais divertissant, qui ne cherche ni à faire le malin ni à s'excuser d'être ce qu'il est, pas branché, sans ironie, sans auto-parodie, sans comparse rigolo, sans effets visuels clinquants, sans ralentis, sans acrobaties simili-hongkongaises, juste les ingrédients de base classiques, un héros invincible, des poursuites en voiture, des fusillades et des mandales dans la gueule, à l'ancienne. Si tout ça peut trouver grâce à vos yeux et si comme moi vous le trouvez pour moins de 5 €, ça vaut bien le coup, vous passerez sans aucun doute un bon moment à suivre les péripéties du jeune Seagal à travers Chicago.